ZOOM SUR UNE RECHERCHE
Édito de la Lettre d’information Mission de recherche Droit et Justice
Octobre 2013
William DROSS, Professeur à l’Université Jean Moulin-Lyon III
Blandine MALLET-BRICOUT, Professeur à l’Université Jean Moulin-Lyon III
La transaction est un contrat réglementé par le code civil au même titre que la vente, le bail ou le prêt. Très couramment utilisée, en particulier dans la pratique des affaires, en droit du travail ou en droit des assurances, elle présente ce remarquable intérêt de prévenir ou de terminer un litige de manière négociée, grâce à un accord passé entre les parties. Son efficacité est garantie dès l’instant que ces dernières peuvent la doter de la force exécutoire, soit en rédigeant ab initio un acte authentique, soit en obtenant a posteriori une homologation judiciaire. La transaction constitue un mode alternatif de règlement des litiges utile à la fois aux parties, qui échappent ainsi aux aléas et aux longueurs d’un procès, et à la société tout entière qui voit diminuer l’encombrement de ses juridictions. En outre, parce que la solution, est négociée plutôt qu’imposée par un juge, elle est mieux acceptée donc plus volontiers exécutée : le contentieux ex post s’en trouve réduit d’autant. Parée de toutes ces vertus, la transaction n’en recèle pas moins un danger considérable. Les parties perdent en effet, par l’autorité de la chose jugée attachée à ce contrat, la possibilité saisir les juridictions étatiques, alors que l’accès au juge est un droit fondamental et à ce titre, l’un des piliers de nos démocraties. Cela explique la difficulté qu’il peut y avoir à doter la transaction d’un régime à la fois attractif et suffisamment protecteur des parties. Mais ce n’est pas une excuse pour se satisfaire de l’état de notre droit sur la question.
Le droit positif français n’est en effet pas à la hauteur de l’enjeu. Les dispositions légales régissant la transaction sont demeurées quasiment inchangées depuis 1804 alors qu’elles étaient, dès cette époque, de très mauvaise facture : confuses, lacunaires, inutiles, voire contradictoires. La jurisprudence a brodé comme elle a pu sur cette trame défaillante, mais sans parvenir à donner à ce contrat un régime suffisamment équilibré pour lui permettre de prendre toute son envergure. Il y avait là un terrain propice pour une recherche de fond qu’une équipe d’une vingtaine de chercheurs, pour la plupart rattachés à l’Université de Lyon (Jean Moulin-Lyon III), a menée avec le soutien de la Mission de recherche Droit et Justice.
Cette recherche s’est déroulée sur plus de deux années, en France et dans six pays étrangers, de tradition civiliste, de common law, ou mixte. Elle a débuté par l’examen méthodique du droit français de la transaction. L’équipe a étudié la jurisprudence de la Cour de cassation sur les dix dernières années, analysé l’ensemble des écrits doctrinaux consacrés à cette question et sondé de près la pratique des professionnels du droit (avocats, juristes en entreprise, banque, assurance…) en réalisant une cinquantaine d’entretiens individuels, cela à partir d’un questionnaire élaboré avec le concours d’un sociologue. Elle a étendu ensuite ses recherches à six systèmes juridiques étrangers, les systèmes allemand, anglais, espagnol, italien, québécois et suisse. L’ensemble des données collectées a permis de nourrir une réflexion approfondie et d’alimenter de nombreux débats (parfois vifs !), dont le fruit est, à titre principal, une réécriture totale des dispositions du code civil consacrées au contrat de transaction et, à titre accessoire, la rédaction de quelques dispositions venant renforcer la protection du justiciable au sein des droits spéciaux, notamment en droit social et en droit des assurances.
Si l’on veut brosser à grands traits l’ambition de cette réécriture, on dira quant à la forme qu’il s’est agi de simplifier la rédaction des textes existants, de supprimer les contradictions et d’écarter les dispositions ne faisant que reprendre des règles ressortissant au droit commun des contrats (capacité, vices du consentement, clause pénale). Quant au fond – c’est là l’essentiel – la rédaction proposée consolide certains apports jurisprudentiels dont la loi ne fait aujourd’hui pas mention, au premier rang desquels se trouve l’exigence des concessions réciproques. Elle sécurise surtout le recours au contrat de transaction, cela à plusieurs points de vue, d’abord en le soumettant à l’exigence d’un écrit requis ad validitatem, ensuite en imposant une délimitation stricte de son objet, enfin en promouvant son exécution forcée plutôt que son anéantissement en cas d’inexécution ; à quoi s’ajoute aussi, pour certains droits spéciaux, une obligation d’information loyale de la partie faible sur les conséquences de l’accord qu’elle s’apprête à signer. Au plan théorique, la référence à l’autorité de la chose jugée, techniquement impropre, est remplacée par le concept de fin de non-recevoir.
Le fruit de ce travail est présenté dans un rapport de plus de 400 pages, remis en juillet 2013 à la Mission, et intitulé « La transaction, Propositions en vue de la réforme du Titre XV – Livre troisième du Code civil « Des transactions » ». Sa première partie (170 pages) est consacrée d’une part, aux conditions de validité de la transaction (consentement, capacité, conformité à l’ordre public, objet, concessions réciproques, formalisme, information des parties) et, d’autre part, à ses effets (fin de non-recevoir, force exécutoire, exécution forcée). On y trouve, pour chaque question, présentés le droit positif actuel (légal et jurisprudentiel), les apports des droits étrangers, les débats doctrinaux, les propositions de rédaction des nouveaux textes (soit dans le code civil, soit hors du code civil : code des assurances, code du travail, code général des impôts, code de procédure pénale) et surtout la justification approfondie de leur pertinence à travers la reprise des arguments et des réflexions échangés entre les chercheurs investis dans ce projet. La seconde partie du rapport rassemble plusieurs annexes (220 pages), qui permettent de mieux cerner la transaction dans certains domaines spéciaux où elle est particulièrement présente (droit des assurances, droit du travail, droit de la sécurité sociale, droit du dommage corporel, droit des affaires) et dans les droits étrangers étudiés. Des synthèses à la fois de la jurisprudence et des entretiens réalisés en France et à l’étranger permettent enfin au lecteur de prendre la mesure des contentieux induits par ce contrat ainsi que de l’opinion des praticiens sur son régime juridique actuel.
EN SAVOIR PLUS SUR LA RECHERCHE CONCERNÉE :
La transaction. Propositions en vue de la réforme du Titre XV – Livre troisième du Code civil « Des transactions »
William DROSS et Blandine MALLET-BRICOUT
Université Jean Moulin (Lyon 3)
Recherche débutée en 2010 – Achevée en 2013