Christian MOUHANNA
Paris, La Documentation française, 2001, 252 p., ISBN : 2110046945
Si les actions judiciaires occupent une place importante dans l’actualité, que ce soit à la chronique des faits divers ou dans les dossiers politico-financiers, plus rares sont les développements consacrés au quotidien des acteurs qui font fonctionner cette machine judiciaire. En particulier, les relations de travail entre les officiers de police judiciaire (OPJ) et les magistrats suscitent peu d’intérêt, mis à part lors qu’éclatent des , affaires » très médiatisées. Or, cette relation à l’intersection, entre le monde policier et celui de la justice, se trouve au cœur de diverses problématiques : rapport entre pouvoir exécutif et pouvoir judiciaire, confrontation entre autorité administrative et légitimité du juge, ou articulation entre les pratiques de terrain et leur traduction juridique. Comment les acteurs, juges, procureurs, policiers et gendarmes, gèrent-ils ces échanges interinstitutionnels ? Qui dirige réellement les OPJ ? Comment se fait l’attribution des dossiers aux différents services ?
À partir des observations menées sur le ressort de quatre tribunaux de grande instance et d’entretiens individuels conduits auprès de parque tiers, de juges d’instruction, d’OPJ des services de police judiciaire, de sécurité publique et de gendarmerie, l’analyse sociologique présentée ici apporte un éclairage sur le fonctionnement concret de ce système complexe et livre des éléments de réponse à ces questions.
Compte rendu critique
Christian Mouhanna a recueilli plus de deux cents témoignages auprès des acteurs du monde policier et judiciaire, s’attachant à mettre en perspective les stratégies individuelles adoptées par ces acteurs. Il montre ainsi comment l’absence de logique collective de fonctionnement au sein de l’institution judiciaire et l’existence d’une forte concurrence entre services de police judiciaire, alliées à une spécialisation croissante des magistrats et policiers, conduisent à un cloisonnement et à une personnalisation des relations de travail. Dès lors, le traitement d’une affaire pénale « intéressante » repose le plus souvent sur un dialogue singulier entre un magistrat et un officier de police judiciaire qui se sont cooptés mutuellement, et cela alors même que des règles précises régissent la conduite et l’exercice de la police judiciaire et que les services enquêteurs appartiennent à des organisations hiérarchisées. Substituts, juges d’instruction et officiers de police judiciaire opèrent in fine une sélection des « belles affaires » qu’ils auront à traiter et choisissent leurs partenaires en fonction des relations de confiance qu’ils auront tissées au préalable. La reconnaissance du professionnalisme de l’autre dans la construction des procédures et de son engagement dans un domaine spécifique est un élément important de cette confiance. Au terme de son analyse, Christian Mouhanna dresse une typologie des binômes susceptibles de se constituer entre les magistrats et les officiers de police au sein d’un ressort. A côté d’acteurs isolés, il distingue ainsi des binômes exclusifs ou non, mono ou plurispécialisés. Face à la détermination par chaque binôme d’actions spécifiques, la notion même de politique pénale ne paraît guère effective. Christian Mouhanna s’interroge alors sur la régulation d’un système justice/police atomisé dans lequel les préoccupations gestionnaires des hiérarchies judiciaires et policières ne sont reçues qu’avec méfiance et où la validité des approches statistiques retenues dans le traitement des contentieux est mise en cause.
Stéphane Lacaille
Direction des affaires criminelles et des grâces