Mai 2011
ISSN : 1280-1496
Télécharger la Lettre RDJ n°36
SOMMAIRE
Libre propos : Antoine Garapon, secrétaire général de l’IHEJ (Institut des Hautes Études sur la Justice)
Recherches récentes : Droits sociaux ; justice coloniale ; Groupes de pression ; Expertise psychiatrique ; Calcul de la CEEE ; Séparations conjugales
Dossier : L’approche économique de la Justice
Thèse : L’analyse économique du « Plaider coupable » (Ludivine Ancelot)
Institution : La CEPEJ (Commission européenne pour l’efficacité de la Justice)
Notes de lecture
Actualité de la Mission
ÉDITORIAL Droit et économie : les prémices d’une collaboration féconde
Marc DOMINGO
Avocat général à la cour de cassation
Directeur de la Mission
Longtemps imperméable à toute tentative de soumettre le monde du droit aux procédés d’analyse économique mis en œuvre avec succès dans d’autres secteurs de l’activité humaine, la pensée juridique française, qu’elle s’exprime directement à travers les productions doctrinales ou s’incarne, de manière moins dogmatique, dans les strates successives de la jurisprudence, a fini par reconnaître avec des ilots de résistance, la légitimité d’une telle entreprise. Il y avait au départ un obstacle culturel à vaincre : pendant des décennies, la formation des juristes et celle des économistes a suivi, à l’université, des voies résolument séparées. Les premiers, pour la plupart d’entre eux, considéraient avec une certaine condescendance les travaux des seconds susceptibles d’être appliqués à leur discipline ; la finalité en paraissait triviale ou inutile, les moyens mis en œuvre inappropriés ou incompréhensibles. Cette attitude a été, il faut s’en réjouir, très largement abandonnée aujourd’hui. Les pouvoirs publics y ont contribué, ne serait-ce que parce qu’une administration centrale – en particulier celle de la justice qui nous intéresse ici – s’efforce toujours de disposer des connaissances lui permettant d’apprécier le coût de fonctionnement des structures qu’elle anime et d’ajuster au mieux son action en vue d’en amenuiser le poids sans nuire à l’efficacité de sa mission ni à la qualité du service rendu. En période de rigueur budgétaire, cette exigence de nationalisation de la gestion des services publics trouve satisfaction dans des orientations qui, certes, ne sauraient être subordonnés à des impératifs d’ordre économique mais doivent cependant en tenir le plus grand compte. Par ailleurs et pour les mêmes raisons (auxquelles s’en ajoutent d’autres), la production des normes juridiques ne peut, à l’heure actuelle, s’affranchir d’une telle contrainte. Le droit a un coût et « les choix normatifs (par le biais de la loi ou de la jurisprudence) ont des conséquences économiques » qu’on ne peut méconnaître. La mesure, avec des instruments adaptés à cette fin, de l’influence que peut avoir telle loi ou telle pratique judiciaire sur le comportement des acteurs juridiques (professionnels ou usagers de la justice) et, au-delà, sur la conduite des groupes ou des individus dans tous les domaines de leur activité, apparaît d’autant plus nécessaire au sein d’un monde en évolution rapide et constante où les frontières s’abolissent, où les échanges deviennent de plus en plus fluides et instables.
La promotion de l’analyse économique du droit, engagée depuis quelques temps par certains, notamment et surtout par Guy CANIVET, alors premier président de la Cour d’appel de Paris, puis de la Cour de cassation, tend d’abord à permettre d’évaluer l’aptitude d’une règle à remplir sa finalité sociale, et ensuite, de participer à la construction du corpus juridique le plus performant et le plus attractif possible à l’heure où la mondialisation met aussi en concurrence les ensembles normatifs et les systèmes juridictionnels. Pour qu’une telle entreprise porte ses fruits, il faut éveiller l’esprit des juristes au sentiment qu’elle est désormais inéluctable et les inviter à sa familiarisation avec les concepts économiques. Il faut aussi convaincre les économistes de s’y intéresser et d’adapter à cet objet les méthodes d’analyse et les instruments d’évaluation dont ils disposent ; en clair, mieux s’informer des besoins pour modeler leur intervention en fonction des résultats recherchés. Et de ce point de vue, il y a encore un assez long chemin à parcourir. Mais l’essentiel n’est-il pas pour beaucoup, de s’y être déjà engagés ? Et de vouloir y persévérer ?