Printemps-Été 2009
ISSN : 1280-1496
Télécharger la Lettre RDJ n°32
SOMMAIRE
Éditorial > Le juge dans l’épaisse forêt du droit
Libre propos > Bernard Teyssié
Recherches > Juridictions et juges de proximité ; Droit européen et catégories juridiques du droit public ; Justice et visioconférence ; Bilan des fonds d’indemnisation des dommages corporels ; Droit comparé des interceptions de télécommunication ; Formation des magistrats en Europe ; Violence des mineurs.
Équipe > Centre Perelman de philosophie du droit (Bruxelles)
Dossier > La recherche sur le droit et la justice
Thèse > La vie politique saisie par le droit privé
Événement > Remise du prix Vendôme 2008
Notes de lecture
Actualité
Éditorial > Marc DOMINGO
Avocat général à la Cour de cassation
Directeur de la Mission
Le juge dans l’épaisse forêt du droit
Voici quarante ans le doyen CARBONNIER pouvait débuter l’un de ses ouvrages fameux par le constat qu’ “il y a plutôt trop de droit”.
De fait, l’étudiant de cette époque, sommé de révérer la suprématie de la loi nationale, axiome fondamental de toute la pensée dogmatique du siècle précédent, mesurait déjà son impuissance à dominer un ensemble de règles constamment perturbé par les réformes législatives, travaillé aussi, de manière continue, par la croissance de branches toujours plus nombreuses et proliférantes, issues du tronc civil commun et requérant les soins de spécialistes formés à cette fin.
Quatre décennies plus tard le processus a pris des proportions considérables.
Secrétées par des sources multiples et variées dans l’architecture desquelles l’échelon national n’est qu’un maillon intermédiaire, les normes sont de plus en plus abondantes, souvent difficiles à connaître et à manier, parfois affligées de tares appelant corrections et ajustements incessants. Face à cette avalanche de textes impossible à maîtriser et que paraît commander autant la volonté de tout réglementer dans les moindres détails que la poussée des phénomènes sociaux de plus en plus complexes qu’il est nécessaire d’encadrer, le juge judiciaire ou administratif a parfois le sentiment d’être désarmé et de ne plus pouvoir remplir correctement sa mission.
Pourtant la connaissance exacte des règles de droit destinées à régir les situations qui lui sont soumises est primordiale, de même qu’une vision actualisée des interprétations jurisprudentielles qui en conditionnent l’application.
Certes, il ne s’agit pas d’exiger a priori du juge qu’il assimile un corpus aussi vaste et mouvant, mais de le mettre en état d’accéder aisément aux normes et aux jurisprudences pertinentes par rapport aux litiges qu’il doit trancher.
De quels moyens dispose-t-il à cette fin ? Tout d’abord l’informatique, qui permet l’accès à de nombreuses bases de données, mais est encore très inégalement exploitée en dépit d’une diversification croissante des sources d’information (Légifrance, sites de la Cour de cassation et du Conseil d’Etat, principales revues juridiques, sites de la CEDH, des institutions européennes, etc.) et de l’incitation de plus en plus accentuée à y recourir.
L’École nationale de la magistrature contribue largement pour sa part, en particulier dans le cadre de la formation continue, à la diffusion d’un savoir juridique constamment tenu à jour et embrassant la plupart des domaines qui intéressent la mission du juge.
On ne saurait omettre par ailleurs les structures mises en place et les actions menées par les différentes professions (avocats, notaires, huissiers, etc.) en vue d’assurer une formation et une information juridiques de qualité souvent partagées à l’occasion de rencontres et de colloques avec les autres acteurs de la vie judiciaire.
Mais ces différents vecteurs de connaissance, dont l’utilisation plus ou moins intensive est abandonnée au bon vouloir de ceux auxquels ils s’adressent, ne satisfont qu’en partie les besoins.
Encore est-il nécessaire que le juge soit à même de percevoir les grandes tendances de “l’orientation juridique” (dixit Josserand), et de mesurer l’impact de sa production “normative” en particulier au niveau des deux juridictions suprêmes de l’ordre administratif et de l’ordre judiciaire.
La recherche, telle qu’elle est conçue et conduite dans le cadre de la Mission dont la direction vient de m’être confiée, et où je succède à Yann Aguila qui en a dynamisé et perfectionné l’activité d’une manière qui m’inspire la plus grande modestie, peut contribuer significativement à enrichir cette réflexion.
Les résultats attendus d’une telle entreprise devraient ainsi non seulement servir de réservoir à idées pour le législateur mais aussi éclairer le juge sur la valeur et la portée de sa pratique tant au regard de la norme qu’il met en oeuvre que des réalités auxquelles elle s’applique.
Le présent numéro illustre obliquement quelques aspects de cette exigence.