Hiver 2005
ISSN : 1280-1496
Télécharger la Lettre RDJ n°22
SOMMAIRE
Éditorial > Le droit et le fait par Yann Aguila
Libre propos > Recherche et justice par Marc Moinard
Recherches > Victimes d’accidents collectifs / Jeunes en prison / Violence carcérale / Contentieux administratif / Traitement en temps réel / Institutions de clémence
Équipe de recherche > L’UMR de droit comparé de Paris
Dossier > Droit de la santé / Danielle Moyse / Anne Tursz / Catherine Labrusse Riou / Anne Laude / Jean-Pierre Duprat
Thèse > Les choses communes
Notes de lecture
Actualité
Éditorial > Yann Aguila
Maître des Requêtes au Conseil d’État
Directeur de la Mission
Le droit et le fait
Aux juristes, la science du droit. Aux sociologues, la science des faits. Tel est le postulat sur lequel repose parfois l’enseignement du droit.
Pourtant, nous avons besoin de juristes qui étudient les faits. Deux exemples, pris dans l’activité juridictionnelle et dans la recherche juridique.
Un juge, d’abord, n’est pas seulement un juriste. L’affaire d’Outreau l’illustre. Suffit-il d’avoir des compétences juridiques pour faire un bon juge ? Ne faut-il pas aussi, et peut-être surtout, d’autres qualités, telles que l’expérience, la sagesse, la connaissance des hommes et de leur psychologie ? Même en droit civil ou administratif, une part essentielle du travail du praticien consiste à collecter les faits, à les rassembler, les évaluer, les classer, les ordonner… L’avocat se fait enquêteur auprès de son client. Le juge procède à une appréciation des faits qui commande souvent la solution du litige, et influence parfois l’interprétation de la règle. Dans le raisonnement juridique, le jeu subtil des interactions entre droit et fait peut inverser l’ordre habituel du syllogisme.
Au fond, le droit est au juge ce que la grammaire est à l’écrivain. Certes, un écrivain doit connaître les règles de grammaire. Elles sont le cadre de sa création. Mais un écrivain n’est pas un grammairien. De même, le juge doit, bien entendu, maîtriser les règles de droit. Mais sa décision est fondée sur bien d’autres facteurs. Nous avons oublié cette vérité énoncée par Portalis : il y avait des juges avant qu’il y ait des lois. Le métier de juge – ou celui d’avocat – ne se réduit pas à l’analyse des normes juridiques.
Second exemple, pris dans la recherche juridique. L’étude des modalités concrètes de mise en œuvre d’une loi ne relève-t-elle pas du juriste ? Et celui-ci, au vu des difficultés d’application, ne peut-il pas faire des propositions pour améliorer les textes ? Certains en doutent : dans une conception stricte de la « science » du droit, le juriste devrait se borner à un travail descriptif, et non pas prescriptif. Il devrait se cantonner au monde abstrait des normes pures, l’analyse des faits étant renvoyée aux sociologues. Mais… le sociologue, pour sa part, estime qu’il doit se limiter à décrire les faits sociaux, et qu’il n’est pas habilité à formuler des préconisations de réforme législative.
L’évaluation de l’impact des législations est pourtant une nécessité. Et les juristes doivent bien entendu y contribuer. Certes, ils sont parfois mal armés pour se renseigner sur la réalité de l’application de la règle de droit. Cela suppose un travail de terrain qui ne leur est pas familier : entretiens avec les praticiens, recueil de données statistiques, étude de cas concrets, contact avec les administrations et les organisations socioprofessionnelles, etc. Le juriste doit alors apprendre à se documenter, à constituer ses propres sources d’information. Il doit aussi travailler en concertation avec des sociologues, des statisticiens, des démographes, et autres experts.
Droit et fait, juristes et sociologues : voilà qui permet de souligner, une fois de plus, l’utilité de la constitution d’équipes mixtes. Le dossier spécial du présent numéro y fait d’ailleurs écho, en montrant tout l’intérêt de la pluridisciplinarité dans le domaine du droit de la santé.