Printemps-Été 2008
ISSN : 1280-1496
Télécharger la Lettre RDJ n°29
SOMMAIRE
Éditorial > Les juristes et la société par Yann Aguila
Libre propos > La Cour européenne des droits de l’homme et la doctrine par Jean-Paul Costa
Recherches > Contractualisation de la production normative ; Juge des enfants ; Famille et délinquance des jeunes ; Parquet français et prokuratura ; Droit de l’environnement ; Argumentation en droit du travail ; Mesures alternatives de règlement des conflits
Équipe > Le Centre de sociologie de droit (Paris II)
Dossier > Le contrat aujourd’hui (F. Tiberghien, C. Jamin, D. Mazeaud, S. Chassagnard et D. Hiez)
Notes de lecture
Thèse > L’évolution de l’architecture judiciaire
Actualité
ÉDITORIAL
Les juristes et la société par Yann Aguila
Conseiller d’État,
Directeur de la Mission
Doit-on prononcer la nullité d’un mariage, dans la France de 2008, pour défaut de virginité de la femme ? Faut-il condamner pénalement un médecin au motif qu’il a accompagné une personne qui souhaitait mourir dans la dignité ? En cas de pollution, qui doit réparer le dommage écologique ?
Plusieurs affaires récentes l’ont montré : toute question de droit est une question de société.
De cette observation découle une idée simple : les débats de société font partie intégrante du discours juridique. Mais avons-nous suffisamment pris en compte cette donnée dans notre conception de la mission des juristes ou de l’enseignement du droit ?
Le travail du juriste ne se limite pas à une activité de pure connaissance du droit et à une application automatique de la règle. Il inclut des prises de position sur les problèmes de notre temps. C’est ce qui en fait d’ailleurs tout l’intérêt.
Prenons l’exemple de la première question posée. La règle est connue : l’article 180 du code civil permet de demander la nullité d’un mariage « s’il y a eu erreur… sur des qualités essentielles de la personne… » La difficulté réside ailleurs, dans l’opération de qualification juridique : la virginité constitue-t-elle une « qualité essentielle » ?
Le droit dans le débat public
Quelle que soit la réponse, la solution n’est en rien mécanique : elle est à construire, à inventer, dans le cadre d’une argumentation qui mêle inévitablement des éléments de droit et des considérations d’ordre philosophique, politique ou moral.
Le raisonnement juridique doit nécessairement tenir compte de la fonction sociale du droit.
Dès lors, ne nous trompons pas sur la mission du juge : elle est éminemment politique. Son activité ne consiste pas à recopier mécaniquement des précédents – faute de quoi un ordinateur ferait aussi bien l’affaire. Le jugement n’est pas un pur acte de connaissance – pas davantage que la loi n’est un pur acte de puissance. Il est, pour paraphraser Portalis, un acte « de justice, de sagesse et de raison ».
Quant à l’étudiant en droit, nous lui proposerions volontiers, sous forme de clin d’œil, l’épreuve suivante : « Voici trois mots : princesse, crapaud, trésor. A partir de cette liste, inventez une histoire… ». Ce petit exercice, donné à un enfant de huit ans à l’école, pourrait illustrer les qualités attendues du juriste… Il ne s’agit pas d’apprendre par cœur et de restituer des dispositions légales. Il s’agit de bâtir une thèse, déceler des contradictions, éprouver la validité d’un argument, remettre en cause la pertinence d’une interprétation… Le droit est d’abord affaire de réflexion, et non de mémoire.
Pourtant, ne nous trompons pas sur la nature du savoir à transmettre aux étudiants. Il porte moins sur le contenu de la règle de droit – par essence changeante et provisoire – que sur une méthode.
Ainsi, le droit a toute sa place dans le débat public. C’est ce constat qui est à l’origine de la création récente du Club des juristes [1] . Il est également au cœur des recherches conduites par le Laboratoire de sociologie juridique de l’Université Paris 2, créé en 1968 par le doyen Carbonnier, aujourd’hui dirigé par Nicolas Molfessis, et dont la Mission est heureuse de présenter les activités dans cette lettre.