Automne 2008
ISSN : 1280-1496
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SOMMAIRE
Éditorial > La complexité du droit par Yann Aguila
Libre propos > Claude Blumann
Recherches > Socialisation des surveillants pénitentiaires ; Souffrance psychique en détention ; L’encadrement juridique de la décision médicale ; Protection de la propriété culturelle ; Démographie professionnelle des magistrats ; Justice publique, justice privée et résolution des conflits
Équipe > Le Centre d’histoire judiciaire (Lille 2)
Dossier > le juge, tradition et modernité
Thèse > L’ordre public matrimonial (Prix Jean Carbonnier 2008)
Notes de lecture
Actualité
ÉDITORIAL > La complexité du droit
par Yann Aguila
Conseiller d’État, Directeur de la Mission
Il serait sans doute désirable que les règles de droit fussent claires et simples. La lisibilité et l’accessibilité du droit constituent même un « objectif à valeur constitutionnelle », au regard duquel le juge constitutionnel jauge la qualité de la loi.
Le constat
Mais le droit reste complexe. Irréductiblement, inévitablement complexe. Portalis observait déjà : « Ce serait une erreur de penser qu’il pût exister un corps de lois qui eût d’avance pourvu à tous les cas possibles, et qui cependant fût à la portée du moindre citoyen. (…) Quelle est d’ailleurs la nation à laquelle des lois simples et en petit nombre aient longtemps suffi ? ». Ce qui était vrai il y a deux siècles l’est encore davantage aujourd’hui. Comment pourrait-il en aller autrement, compte tenu du progrès des sciences et des techniques, de la mondialisation des échanges, ou encore de la densification des rapports sociaux ? La complexité du droit n’est que le miroir de celle de nos sociétés. Le droit est ainsi de plus en plus foisonnant, mouvant, instable. Le juriste, qu’il soit juge ou avocat, consacre une bonne partie de son temps à démêler l’écheveau des règles et des jurisprudences, internes ou internationales. L’introduction en France de l’exception d’inconstitutionnalité s’inscrit dans la logique de ce mouvement profond : toute norme, fût-elle législative, devient contestable, discutable devant le juge. Le juriste est à la recherche perpétuelle d’un ordonnancement. Mais en réalité, c’est lui qui crée l’ordre : le système juridique ne se présente pas spontanément comme un ensemble simple et cohérent de normes. De la même manière qu’il rationalise les faits, le juriste ordonne les règles. En outre, les territoires du droit sont vastes : le juge ou l’avocat découvre souvent, au détour d’une affaire, une nouvelle réglementation, des textes peu fréquentés, des arrêts jusque là inconnus. Il lui appartient alors de défricher ces terres inexplorées, pour s’y frayer un chemin. C’est ce qui fait tout le charme de ces métiers. Mais aussi toute la difficulté.
Les conséquences
De ces constats, on peut tirer un enseignement relatif au rôle de l’avocat : la présence d’un défenseur aux côtés du justiciable, loin d’être un frein à son accès au juge, constitue au contraire une garantie essentielle de son droit à un recours effectif. La dispense d’avocat est parfois un leurre qui donne au citoyen l’illusion d’un accès facile à la justice, alors que, faute de maîtriser les arcanes du droit, il risque de perdre son procès. Autre conséquence de l’incontournable complexité du droit, en matière de formation : si le droit est un voyage, il faut apprendre à l’étudiant à voyager. Il est inutile de connaître par cœur des textes et des règles. Ce serait comme mémoriser la carte d’un seul pays, alors que, plus tard, notre juriste voyageur explorera nécessairement d’autres contrées. En revanche, il faut lui apprendre à maîtriser les outils nécessaires à son orientation. Savoir utiliser une carte, un compas et une boussole… ou savoir rassembler les textes applicables, utiliser un code, retrouver une convention internationale, décrypter la jurisprudence, discuter une interprétation, construire une argumentation, bâtir un raisonnement juridique.
Au fond, en tout juriste sommeille un chercheur…