Sonia DESMOULIN
L’animal entre science et droit
Le prix Jean Carbonnier 2007 de la recherche sur le droit et la justice a été décerné à Sonia DESMOULIN pour sa thèse « L’animal entre science et droit », soutenue à l’université Paris I – Panthéon-Sorbonne.
Depuis quelques décennies, l’évolution des sciences et des techniques interpelle les juristes : nombre d’études ont ainsi porté sur l’embryon ou le corps humain. L’adoption d’un nouvel objet d’étude, l’animal – tantôt antithèse, tantôt analogon de l’homme –, permet, en changeant de perspective, d’enrichir la réflexion sur les relations du droit avec la science. La proximité génétique, les similitudes physiologiques, voire les comparaisons comportementales entre hommes et animaux sont révélées et exploitées par les sciences de la vie. Des expériences abolissant les frontières entre organismes humains et animaux (modifications de l’ADN, xénogreffes, création de chimères…) sont même tentées. De son côté, le droit oppose les personnes aux choses et classe les hommes dans la première catégorie, les animaux dans la seconde. Cette situation est désormais contestée de plusieurs manières. Pour certains, les données de la science condamneraient ce traitement traditionnel de l’animal ; pour d’autres, l’évolution du droit lui-même rendrait cette présentation dépassée, les animaux n’étant plus qualifiables de choses. L’étude des règles relatives aux animaux dans un contexte scientifique et technique montre l’inexactitude de la seconde proposition. L’analyse des rapports entre science et droit dans la construction du statut de l’animal révèle les impasses et les périls de la première.
Les règles relatives aux animaux utilisés dans un contexte scientifique et technique sont clairement des règles de mise à disposition, par l’exercice classique du droit de propriété ou la revendication de brevets portant sur des animaux transgéniques. Pour des raisons sanitaires ou économiques, l’exploitation réglementée des animaux passe aussi par la prescription de règles spéciales organisant le recours à des techniques scientifiques, comme l’insémination artificielle. Dans une société aspirant au contrôle des risques, l’animal est un pro duit dont les avaries peuvent avoir des suites d’autant plus graves qu’elles sont transmissibles. Il est vrai que le droit est aussi convoqué pour encadrer les pratiques scientifiques possible ment dommageables pour les animaux (expérimentations…), l’environnement ou l’humanité (génie génétique, clonage…). A priori, les règles gouvernant l’utilisation des animaux par les scientifiques semblent aussi nombreuses que contraignantes. Cependant, les exigences récemment formulées ne sont pas toujours fermes. L’interdit est souvent exprimé dans un texte à la valeur juridique controversée ou à l’interprétation problématique. Les concepts directeurs de cet encadrement résultent d’une réflexion a posteriori encore inachevée : les principes d’utilité, de précaution ou de dignité restent à consolider. Les règles sont mal connues et leur respect est fréquemment abandonné au bon vouloir du destinataire. Toute relative, la protection conférée par certains textes ne remet pas en cause le principe : l’animal demeure une chose en droit positif. Pourtant, d’aucuns suggèrent que sa nature juridique aurait changé. Deux courants doctrinaux prônent la requalification de l’animal en sujet de droits. Le premier vise l’intégration des animaux dans la catégorie des personnes physiques. Cette proposition reflète l’évolution des mentalités consécutive aux travaux de Darwin et à la révélation des capacités sensibles et cognitives de certains animaux. Arguant de la continuité du vivant et des données éthologiques, ces auteurs entendent sortir l’animal de la catégorie des choses. L’apparition dans le corpus normatif de concepts et de logiques scientifiques, liée au rôle des experts dans l’élaboration des règles, les conforte. Le second courant veut conférer à l’animal une personnalité « de pure technique juridique ». Cette thèse paraît toutefois négliger la complexité de la personne juridique, construction qui renvoie à la fois au sujet de droits et à l’être moral. La qualification de personne sert plusieurs finalités : mise en action des règles de droit, imputation de droits et d’obligations, attribution de libertés, protection de valeurs… Personnifier l’animal suppo serait de lui reconnaître des qualités lui faisant défaut, ou impliquerait d’appauvrir excessive ment le concept de personne en retenant une définition purement technique, sans certitude quant à la faisabilité d’un tel choix.
Les animaux n’investissent pas la règle de droit, mais celle-ci se préoccupe de leur sort. Ils ne font pas vivre le droit, mais leur protection figure parmi les valeurs promues par l’ordre juridique. Aussi le droit objectif devrait-il d’abord être sollicité. Si le régime juridique applicable aux animaux, restreignant l’usus et l’abusus, est dérogatoire au droit commun des biens, cet aménagement est compatible avec le maintien de l’animal parmi les biens. Les atteintes portées aux droits du propriétaire trouvent leur fonde ment dans l’article 544 du Code civil. Une nouvelle conception de l’ordre public et des bonnes mœurs, intégrant la lutte contre les violences de toutes sortes et les préoccupations écologiques, émerge. En droit civil, les interrogations sur le statut de l’animal sont à mettre en relation avec une souhaitable réorganisation du droit des biens. Dans cette perspective, la réflexion devrait être menée dans deux directions : la découverte de nouvelles qualifications, mieux adaptées aux questions juridiques relatives aux animaux (bien affectif, bien d’intérêt collectif…) ; et la reconnaissance d’un régime spécial constitué de solutions propres à l’animal. Le droit des biens profiterait d’une nouvelle organisation des textes dans le Code civil affirmant claire ment l’existence de règles générales complétées par des régimes spéciaux. Parmi ceux-ci, un droit spécial de l’animal trouverait idéale ment place. Aux côtés des solutions de droit positif ainsi mises en cohérence (clauses du bail d’habitation, insaisissabilité des animaux d’appartement ou de garde), de nouvelles dispositions seraient adoptées, notamment pour les animaux détenus en indivision ou en communauté. En droit pénal spécial, restreindre explicitement le champ de la protection aux seuls êtres vivants vulnérables exprimant la capacité de souffrir ferait prendre tout son sens à la prohibition des actes attentatoires à l’intégrité ou à la vie de l’animal. Cette protection devrait alors concerner tout animal dès sa préhension physique, et non plus dès l’appropriation ou la détention. L’élément déclencheur de la répression pénale deviendrait l’emprise matérielle.