La table ronde « L’enseignement du droit : quelle finalité ? » était organisée le 23 octobre 2018 à la librairie Mollat (Bordeaux) par la revue trimestrielle Les Cahiers de la justice, co-éditée par l’ENM et Dalloz. Retour sur l’événement par Denis Salas, son directeur scientifique.
Autour de ce thème qui correspondait au dossier de la revue du n°2018/2, étaient réunis deux de ses contributeurs Emmanuelle Perreux (directrice adjointe de l’ENM) et Christophe Jamin (directeur de l’école de droit de Sciences po).
Le thème de l’enseignement du droit est conçu dans l’interface entre l’université et les mondes professionnels. Force est de constater qu’il se perpétue encore dans des rituels universitaires quelque peu figés : cours « magistraux », sacro-saint plan en deux parties, faible place de la recherche, concours de l’agrégation qui produit une élite nommée « la doctrine »… De plus en plus de critiques pointent une culture autocentrée. La concurrence inédite de la part d’institutions comme les écoles de commerce est vive. Des nouvelles conceptions pédagogiques apparaissent. C’est ainsi que Sciences po, comme l’a développé Christophe Jamin, propose des cursus de formation de brève durée (deux ans au lieu de quatre ou cinq ans), développe les « cliniques du droit », supprime les cours en amphithéâtre au profit des séminaires fondée sur une « pédagogie inversée ». On retrouve ici le refus des universitaires américains d’enseigner le droit « dans les livres » comme si l’on voulait former les vétérinaires au seul contact de peluches, disait avec malice Jérôme Franck.
Beaucoup d’universités relèvent le défi notamment au niveau des méthodes d’enseignement. Les écoles de formation s’efforcent elles aussi de s’adapter. La formation des avocats partage avec celle des magistrats le même souci de cultiver des « savoirs êtres » c’est-à-dire l’intelligence émotionnelle, la capacité de travailler en équipe, la créativité opérationnelle. Bref, cette pédagogie a le sens d’une véritable répétition de la vie professionnelle comme l’a évoqué Emmanuelle Perreux en soulignant l’importance des exercices de mise en situation.
Cette mutation pédagogique vise à réveiller la créativité du juriste. Car si le droit est l’affaire de tous, s’il vit dans l’interdépendance avec la société, c’est parce que la créativité en est le centre vital. C’est en effet une institution qui en même temps garantit l’ordre établi et organise sa contestation. Le doute, l’esprit critique, la liberté interprétative sont au centre de l’acte de juger. Cela rappelle un apologue hébraïque : un rabbin enseignait à son disciple les 60 interprétations d’un verset du Talmud. « Maitre, s’écriait celui-ci, quelque peu désemparé mais quelle est la vraie ? » « La vraie, répondit le rabbin, est la 61ème, celle dont tu seras seul l’auteur ».
Denis Salas, directeur scientifique des Cahiers de la justice.
Les Cahiers de la Justice Née en 2010, cette revue aborde l’objet « justice » loin des « institutions juridictionnelles » enseignées dans les manuels. Elle privilégie une approche interdisciplinaire permettant de saisir les dimensions de l’activité judicaire sous un angle réflexif. La revue est composée d’un édito de la rédaction (le plus souvent sur un sujet d’actualité) et d’une tribune exposant une prise de position sur un sujet controversé. Son dossier central développe le rôle que la justice joue dans les débats de sociétés (récemment des sujets comme la GPA, la fin de vie, la laïcité, le terrorisme, la maltraitance infantile… ont été traités). Ce dossier est traité sous plusieurs angles : juridique (y compris comparatif) mais aussi philosophique, sociologique, historique… Ensuite viennent les chroniques régulières : juger ailleurs (juge-t-on autrement dans le monde ?) ; la croisée de savoirs (étude d’un point de droit ou d’une décision sous un regard exogène) ; débat démocratique (l’activité judicaire au contact de la vie démocratique) ; justice en situation (approche des « jurisprudences concrètes » du moment, ces occurrences normatives dont se nourrissent les lois de demain). Enfin, la chronique « lire, voir entendre » est une ouverture vers la culture judiciaire (la littérature, le cinéma, les arts…) sous forme de recension ou d’articles. |