Grâce à l’enregistrement des témoignages de douze magistrats du XXème siècle, la recherche « Archives orales des acteurs de la justice du XXème siècle » financée par la Mission de recherche Droit et Justice permet d’écrire l’histoire du « présent judiciaire » : entretien avec la directrice de la recherche, Sylvie Humbert, Professeure d’histoire du droit à l’Institut Catholique de Lille et Secrétaire générale de l’Association Française pour l’Histoire de la Justice (AFHJ).
Portrait de Sylvie Humbert. ©DR
Laetitia L-H : Quels sont les principaux enseignements de cette recherche ?
Sylvie Humbert : Cette recherche repose sur les témoignages des magistrats ayant derrière eux une carrière où se rencontrent l’histoire de leur temps et la fonction de juger. Ils constituent une mémoire vivante de la justice concrétisée par la restitution du passé, l’expérience de l’historicité et l’établissement d’une documentation immédiate et vivante. Leur expérience, leurs difficultés, le savoir-faire dont ils ont rendu compte, enrichissent la mémoire judiciaire.
Laetitia L-H : Qu’entendez-vous par archives orales ?
Sylvie Humbert : Ce que nous appelons « Archives orales », c’est l’histoire du présent qui s’écrit alors que les témoins sont encore vivants. A long terme, ces archives seront amenées à développer la recherche scientifique et créer une mémoire de l’institution judicaire. Il s’agit aussi de susciter les souvenirs de ces témoins et acteurs des grands événements qui ont scandé le XXe siècle. Chaque parcours est différent ce qui amène le témoin à réfléchir à partir de son histoire personnelle et professionnelle à l’impact que cela a pu avoir sur sa compréhension du monde et l’incidence que cela a eu sur sa manière de rendre la justice, d’appréhender le droit et d’en envisager des réformes pour l’avenir afin de répondre aux attentes d’une bonne justice.
Laetitia L-H : Qu’est-ce que cette méthode historique apporte en connaissances historiques ?
Sylvie Humbert : L’interview débute souvent par les origines familiales et la jeunesse du témoin. Cet aperçu est essentiel à la compréhension du parcours qui est le sien et qu’on ne peut expliquer que par ce retour à une période de sa vie qui est souvent à raccrocher à des événements historiques qui l’ont marqué. La deuxième approche est plus organisationnelle intégrant l’histoire de l’institution et de ses pratiques professionnelles. C’est de cet entrelacement constant du fil biographique aux fils thématiques que peut surgir durant l’entretien l’enchevêtrement des chronologies, individuelle ou collective, qui fait la texture complexe et sensible de la mémoire. C’est aussi de cette manière qu’il est possible de mettre en perspective ce qui constitue les « matrices » structurantes de pensée ou d’action du témoin.
Laetitia L-H : Les enregistrements audio sont-ils mis en ligne ?
Sylvie Humbert : Après une captation in extenso qui donne lieu à une version dite longue, l’interview est recentrée sur les points, les événements, les affaires qui caractérisent le mieux le témoin. Des photos sont incluses, des textes sont ajoutés pour expliquer soit l’évolution dans la carrière, soit resituer l’événement dans son contexte, historique, politique ou judiciaire. C’est cette version dite courte qui prend le format classique des documentaires et qui, après validation par le témoin, peut être présentée au public et être mise en ligne sur le site de criminocorpus. Mais d’autres sites peuvent aussi être envisagés.
Laetitia L-H : Quelles sont selon vous les périodes marquantes de l’histoire judiciaire française qui mériteraient encore que leurs témoins soient entendus ?
Sylvie Humbert : Au-delà des périodes marquantes, ce sont surtout les affaires marquantes qui ont eu le plus d’impact sur nos témoins. Par une sorte de compression de la mémoire, les détails de ces affaires resurgissent très vite. Toutes les affaires sont importantes en justice mais certaines, parce qu’elles se déroulent lors du premier poste ou qu’elles arrivent à un moment de la carrière bien précis, ont une incidence sur l’histoire de la justice française mais aussi européenne ou internationale. Ces affaires marquantes peuvent susciter des réactions lorsque les vidéos sont mises en ligne et nous espérons pouvoir apporter d’autres témoignages afin d’atteindre au plus près la vérité de ces affaires controversées.
Pour aller plus loin : http://www.gip-recherche-justice.fr/publication/archives-orales-des-acteurs-de-la-justice-du-xxe-siecle/
Pour retrouver ces témoignages de justice : https://criminocorpus.org/fr/bibliotheque/collections/temoignages-de-justice/
