Fabrice Guilbaud, chercheur au CURAPP (Université de Picardie Jules Verne) a suivi la 130ème promotion de surveillants pénitentiaires de leur entrée à l’École nationale de l’administration pénitentiaire en 1993 pendant 25 ans pour étudier la socialisation professionnelle des surveillants de prison 1993-2017 dans une perspective longitudinale, quantitative et qualitative. Entretien bilan.
Propos recueillis par Laetitia Louis-Hommani
Laetitia L-H : Quels sont les principaux résultats de cette recherche ?
Fabrice Guilbaud : Un des éléments de la socialisation professionnelle des surveillants consiste d’abord en une reconstruction de leur passé repérable dans l’évolution des raisons du choix d’entrer dans l’administration pénitentiaire (AP). C’est la sécurité de l’emploi qui rassemble sept surveillants sur dix au début de la carrière en 1993. Les raisons de type professionnel sont toujours peu choisies, mais une partie de l’effectif maintient la « contribution au maintien de l’ordre » ou à « l’utilité du métier » comme motif d’entrée. En revanche, le « hasard » a quadruplé en 25 ans : 37% déclarent être entrés dans ce métier par hasard en 2018, ce qui peut s’interpréter comme un signe de déception. Quelques autres éléments saillants : les surveillants ne conseillent pas à leurs amis ou proches d’entrer dans l’AP (71%), s’ils avaient pu, ils auraient choisi un autre emploi (69%). Ces aspects correspondent à une dynamique d’insatisfaction au travail qui concerne trois surveillants sur quatre en 2018. Les jugements portés sur le groupe professionnel ne sont pas dénués de critique puisque 70% des surveillants estiment que leurs pairs manquent de motivation dans le travail et 72% considèrent que la formation « laisse à désirer » (en progression de 47 points en 25 ans), ce qui peut aussi s’interpréter comme un jugement négatif porté sur la pratique du métier des plus jeunes.
Le groupe professionnel est polarisé par la dimension satisfaction-insatisfaction au travail et par un rapport aux règles professionnelles et envers les personnes détenues qui opposent les plus légalistes et les plus pragmatiques dans l’application des règles et les relations à avoir avec les détenus. C’est ce qu’une technique statistique appelée analyse en correspondance multiple (ACM) dessine : une pluralité de styles professionnels qui vient remettre en cause la vulgate d’une culture professionnelle surveillante homogène et partagée.
Laetitia L-H : Quelle appréciation portez-vous sur les changements du métier de surveillant.e évoqués dans votre rapport ? Considérez-vous que le métier évolue de façon positive au regard des attentes des professionnel.le.s interrogé.e.s ?
Fabrice Guilbaud : Le métier de surveillant s’est diversifié au cours des trente dernières années et plus encore dans la dernière décennie : moniteurs de sports, spécialistes de l’intervention et de la sécurité, formateurs, surveillants affectés au transport et à l’extraction judiciaire des détenus et d’autres encore. Cette évolution a été bien accueillie dans le corps des surveillants. Mais, progressivement, il semblerait que la segmentation du métier tende à placer le travail de base, dans les coursives et aux étages, comme étant le moins souhaitable, le moins valorisable, le plus dangereux et difficile, autrement dit à le constituer, dans la division morale du travail, en « sale boulot ». Non pas qu’il soit entaché d’une indélébile trace qui le discrédite totalement et durablement mais parce que les spécialités ont été vues comme des bifurcations positives dans les parcours professionnels et valorisées dans les carrières. Maintenant que la diversification du métier est institutionnalisée dès le recrutement, se posent sans doute davantage les questions de la polyvalence et de l’évolution des carrières dans diverses tâches et postes. Une des voies pour limiter l’insatisfaction professionnelle graduelle pourrait peut-être consister à mieux prendre en compte la pénibilité de certains postes afin d’améliorer les cycles des carrières, en n’oubliant pas qu’il y aura toujours et d’abord besoin de surveillants placés au contact des détenus au sein des détentions.
Laetitia L-H : Quels sont les avantages et les inconvénients d’une étude longitudinale comme celle que vous avez menée ?
Fabrice Guilbaud : L’avantage majeur est de se fonder sur un suivi en « temps réel » d’un même groupe composé des mêmes individus qu’on interroge à intervalles irréguliers mais importants dans la carrière (entrée et sortie à l’école nationale de l’administration pénitentiaire, milieu et fin de carrière). Vieillissant au même rythme que les individus qu’il observe, le suivi de cohorte apparaît comme une méthode plus rigoureuse pour saisir la dynamique d’un processus que les sciences sociales ont plus souvent étudié par des méthodes biographiques (un ou plusieurs entretiens avec une personne qui raconte sa vie professionnelle) ou des ethnographies approfondies consistant à vivre dans un milieu de travail et d’en rendre compte ensuite. En les interrogeant régulièrement, on fidélise les personnes. Elles acceptent ensuite facilement de parler lors d’entretiens dont certains éléments peuvent être articulés à leurs réponses au questionnaire. Ainsi le suivi de cohorte peut permettre d’analyser avec précision un groupe (la cohorte) et les individus qui le compose. Un inconvénient à noter toutefois dans le cas précis de la 130e promotion étudiée : le faible effectif (214 individus en 2018, contre 445 en 1993) qui obère certains traitements statistiques (notamment les différences entre hommes et femmes). Rigoureusement, les résultats présentés ne valent que pour la 130e promotion, qu’il faudrait comparer à d’autres ou à un échantillon représentatif de la population générale des surveillants.
A noter : ont également contribué à ce rapport de recherche, Diane Delacourt, Ingénieure d’études CNRS, pour le traitement des données et George Benguigui, Directeur de recherche honoraire au CNRS, conseiller scientifique.