Le 3 juin 2021 à 16h00 a eu lieu la conférence-débat La justice face à l’émotion organisée avec le soutien de la Mission de recherche Droit et Justice et la participation du Laboratoire de droit privé et de sciences criminelles ainsi que de l’Institut de sciences pénales et de criminologie. Avant cet événement nous avions rencontré son organisateur, Jean-Baptiste Perrier, Professeur à Aix-Marseille Université.
Propos recueillis par Laetitia Louis-Hommani
Laetitia L-H : Vous organisez le 3 juin 2021 avec la Mission de recherche Droit et Justice un colloque intitulé La justice face à l’émotion, le sujet est vaste, quels sont vos objectifs, pourquoi avoir choisi ce thème ?
Jean-Baptiste Perrier : De récentes affaires judiciaires ont suscité une vive émotion, qu’on pense à la décision relative à l’irresponsabilité pénale rendue dans l’affaire dite « Halimi » ou encore aux peines prononcées dans l’affaire dite de « Viry-Chatillon ». Cette émotion est légitime car les faits en cause sont très graves et les personnes touchées par ces crimes espéraient sans doute une autre décision ou des sanctions plus sévères. Pour autant, la Justice ne doit pas être rendue sous le coup de l’émotion. Elle doit savoir entendre cette émotion, l’accueillir, mais elle doit rester à distance également. Ces difficultés ne sont pas nouvelles mais elles soulignent le fait que le rôle de la justice et son fonctionnement sont parfois mal connus ou mal compris. Alors que l’institution judiciaire est à nouveau mise en cause, alors que certains la prétendent « laxiste » (ce que les chiffres réfutent pourtant), il me semblait important de pouvoir débattre de ces sujets, d’expliquer tout cela, en faisant une place importante au public. Notre objectif n’est pas de défendre la Justice, ni de convaincre que toutes les décisions rendues sont parfaites (car ce n’est pas toujours le cas, la justice est humaine, avec ses forces et ses faiblesses), mais d’être avant tout pédagogue, pour que toutes celles et tous ceux qui le souhaitent puissent se forger leur propre opinion.
Laetitia L-H : Organisée dans de très brefs délais, cette manifestation sera également originale quant à sa forme, pouvez-vous nous présenter brièvement son format ?
Jean-Baptiste Perrier : Dans cet objectif de pédagogie, nous avons voulu laisser une place importante au public et si les contraintes sanitaires ne permettent pas de l’accueillir en « présentiel », nos nouveaux usages nous permettent de diffuser très largement cette conférence-débat, en permettant à toutes et tous, d’un simple clic, de suivre les échanges et de poser leurs questions (www.justicite.org). Neuf intervenants seront présents, magistrats, avocats, universitaires et journalistes, et ils prendront tour à tour rapidement la parole. Il s’agira, en quelques mots, de partager un point de vue (juridique ou sociologique), une expérience (celle des procès d’assises, celle des catastrophes sanitaires ou celle des affaires familiales) ou encore de réfléchir au-delà du procès et parler de formation et d’information. Ces brèves prises de paroles permettront de poser les bases du débat, avant d’échanger avec le public. Toutes celles et tous ceux qui le souhaitent pourront donc poser leurs questions ou faire part de leurs réactions dans l’espace « chat » de la diffusion vidéo, et nous nous chargerons de les transmettre. Nous attendons un public important donc toutes les questions ne pourront pas être posées, mais nous essaierons de veiller à ce que tous les sujets de préoccupation soient abordés. Le format est donc résolument ouvert et interactif !
Laetitia L-H : Cette manifestation est-elle la première étape d’une réflexion plus importante ? Quelles pourraient en être les suites ?
Jean-Baptiste Perrier : Je souhaite vivement qu’elle soit en effet une première étape, car je crois qu’il est essentiel de mieux expliquer le fonctionnement de la justice, et pas seulement de la justice pénale. Il faut aussi permettre aux acteurs judiciaires d’échanger, car les contraintes qui pèsent sur le fonctionnement de la justice peuvent parfois générer des difficultés entre avocats, magistrats, greffiers et au-delà avec les services de police ou de gendarmerie, comme l’actualité le montre hélas. Il faut donc créer un espace pour cela, qui pourrait être un observatoire de la justice (que j’appelle de mes voeux), tourné vers l’extérieur. Il ne s’agirait pas d’être un service interne, pour fournir des données aux ministères intéressés (comme celui annoncé sur la réponse pénale), ni de mener ou de soutenir des projets de recherche (car le GIP existe et il accomplit parfaitement cette mission), mais plutôt d’être un outil complémentaire, où les acteurs et les justiciables peuvent se rencontrer et mieux se comprendre. Il est à mes yeux essentiel que ces débats puissent être menés sereinement, sur le temps long, et non pas dans un moment d’émotion ou en période électorale. Un projet de loi vise actuellement à renforcer la confiance dans l’institution judiciaire, en insistant notamment sur le contradictoire et la transparence, ce qui est évidemment nécessaire. Sur le long terme, cette confiance suppose également de pouvoir dialoguer, débattre aussi et avoir des positions différentes bien sûr, mais avant tout de pouvoir échanger, et il faut inventer un cadre pour cela.