Rencontre avec Olivier Leclerc, Directeur de recherche au CNRS (UMR 7074 CTAD Nanterre), membre du Conseil scientifique de la Mission, vice-président du Centre culturel de rencontre de Goutelas chargé du projet culturel et initiateur de ce partenariat et Guillaume Chetard, le lauréat 2020 du Prix Vendôme, accueilli en résidence du 11 au 19 septembre 2021.
Sur une proposition de Mireille Delmas-Marty, juriste, professeure émérite au Collège de France et membre de l’Académie des sciences morales et politiques, le Château de Goutelas, Centre culturel de rencontre, ouvre le premier programme européen de résidences pour chercheurs en droit, les « Résidences Adamas », en partenariat avec la Mission de recherche Droit et Justice, le Conseil constitutionnel, l’Académie Internationale des principes de Nuremberg et l’Association Internationale de Droit Économique. C’est Guillaume Chetard, lauréat 2020 du Prix Vendôme, décerné par la Mission et la Direction des Affaires criminelles et des Grâces du ministère de la Justice qui le premier aura la chance de participer à ce séjour de recherche hors normes. En effet, celui-ci offre des moments de rencontres privilégiés entre chercheurs et artistes autour de thématiques en lien avec les enjeux contemporains et l’humanisme juridique (migrations ; hospitalité ; biens communs ; solidarités ; environnement ; santé ; sécurité ; liberté) et des projets favorisant le partage des savoirs et l’interdisciplinarité.
Propos recueillis par Laetitia Louis-Hommani
Laetitia L-H : Guillaume Chetard, lauréat 2020 du Prix Vendôme sera accueilli en résidence du 11 au 19 septembre prochain au château de Goutelas dans le cadre de ce nouveau partenariat avec la Mission de recherche : en quoi consiste ce nouveau projet ? quels sont ses objectifs ?
Olivier Leclerc : Pour mieux comprendre ce en quoi consistent les résidences Adamas, il faut dire un mot du cadre dans lequel elles s’inscrivent. Le Château de Goutelas s’est récemment vu décerner le label de Centre culturel de rencontre par le Ministère de la Culture. L’attribution de ce label est d’abord la reconnaissance de la liaison réussie entre un site patrimonial exceptionnel – le château de Goutelas – et un projet culturel destiné à faire vivre le lieu et à l’inscrire dans une dynamique tournée vers l’avenir. Le projet culturel porté par Goutelas s’articule autour de trois termes structurants : Humanisme, droit, création. Ceux-ci sont déclinés toute l’année à travers une programmation artistique pluridisciplinaire, des rencontres associant des universitaires, des acteurs associatifs et des élus du territoire, des résidences d’artistes, des expositions d’art contemporain. Le Château de Goutelas accueille aussi des séjours de recherche et des écoles d’été à destination d’universitaires, de doctorants et de doctorantes, en droit et dans bien d’autres disciplines. Les résidences Adamas prennent appui sur cette expérience acquise de longue date – le centre culturel fête cette année son soixantième anniversaire – et proposent de lier le versant artistique et le versant académique de l’activité menée à Goutelas. Quatre jeunes docteurs en droit seront accueillis cette année, tous bénéficiaires de prix de thèse ou sélectionnés par les institutions partenaires. Le pari sur lequel reposent les résidences Adamas est que la recherche se nourrit du calme et de la beauté du lieu, du foisonnement artistique qui s’y déroule, des échanges entre les résidents et de la convivialité que permet le travail partagé en ce lieu hospitalier. La recherche des résidents doit s’en trouver enrichie ; en retour, leur travail viendra alimenter les réflexions collectives que mène le Centre culturel de rencontre dans le cadre de son projet culturel.
Laetitia L-H : Quel sera le programme de cette semaine (du 11 au 19 septembre 2021) ?
Olivier Leclerc : Les résidences Adamas s’inspirent du modèle des résidences d’artistes. En effet, le Château de Goutelas accueille depuis longtemps des artistes plasticiens, des musiciens, des chorégraphes et danseurs, des dessinateurs, qui résident au château pour travailler à leurs créations. A leur départ, les résidents présentent l’état de leur travail au cours d’une « sortie de résidence » ouverte au public, adulte aussi bien que scolaire. De la même façon, les lauréats des résidences Adamas seront accueillis à Goutelas afin d’y travailler à leurs recherches dans un environnement propice à la réflexion et à l’échange. Pour cela, ils disposeront d’un accès réservé à la Bibliothèque des humanismes, récemment installée au Château de Goutelas à l’initiative de Mireille Delmas-Marty. C’est aussi un moyen de favoriser la réflexion sur les thèmes que le Centre culturel de rencontre met au cœur de sa programmation culturelle, en partant des sujets de recherche et de l’expérience des lauréats et lauréates. Au cours de la semaine, plusieurs échanges sont organisés avec les juristes engagés dans les activités du centre culturel, parmi lesquels Mireille Delmas-Marty et Antoine Jeammaud. A l’issue de la résidence, des entretiens filmés seront réalisés avec les résidents et résidentes afin de garder trace de leur séjour et de nourrir la réflexion que permet le passage à Goutelas de personnes venues d’horizons très variés. Enfin, la sortie de résidence coïncide cette année avec une actualité particulièrement chargée du Centre culturel puisque le week-end des 18 et 19 septembre verra le lancement de la prochaine saison du centre culturel, les Journées européennes du patrimoine et la célébration du 60e anniversaire de la reconstruction du Château de Goutelas.
Laetitia L-H : Le Château de Goutelas accueillera artistes et chercheurs en résidence, comment imaginez-vous cette collaboration ?
Olivier Leclerc : Coordonner des résidences de chercheurs et des résidences d’artistes, souvent internationaux, n’est pas une chose facile ! Pour cette première édition, il n’a pas été possible d’accueillir les résidences d’artistes en même temps que les chercheurs et chercheuses en droit. Mais le croisement entre recherche et création artistique sera néanmoins bien présent. Le Château de Goutelas accueille une exposition présentant plusieurs pièces d’art contemporain. Intitulée Nouvelles faunes, l’exposition abrite des œuvres de Cyril Hatt, Sandra Lapage, Scenocosme, Smith. Cette exposition questionne les identités et la représentation des sujets, et engage à réfléchir à la représentation des humains et des non-humains… y compris par le droit. Les résidents et les résidentes bénéficieront aussi d’un programme de visites et de découvertes en lien avec le festival d’architecture Abris de fortune organisé par le Château de Goutelas depuis maintenant plusieurs années. Ces abris éphémères, situés à Goutelas et dans ses alentours, accueillent pendant tout l’été des manifestations culturelles variées, à l’image du territoire sur lequel ils sont implantés. Si l’on ajoute les œuvres installées dans le château et ses abords, les résidences de recherche à Goutelas plongent les chercheurs et les chercheuses dans un environnement esthétique de qualité, propice à la réflexion.
Laetitia L-H : Qu’est-ce que ce partenariat peut apporter à la Mission de recherche Droit et Justice ?
Olivier Leclerc : Les résidences Adamas se veulent un laboratoire d’idées. C’est, me semble-t-il, un point commun avec la Mission de recherche Droit et Justice, qui joue un rôle important pour identifier et promouvoir des thématiques de recherche sur le droit et sur la justice innovantes et pertinentes. Les résidences Adamas et le travail de la Mission se rencontrent aussi dans la volonté de favoriser une recherche en prise avec son environnement économique, politique, culturel, et avec la variété des pratiques du droit. Le Château de Goutelas a toujours accueilli des praticiens du droit, qu’il s’agisse d’avocats, de magistrats, d’inspecteurs du travail, par exemple au travers de l’Université du Barreau ou des séminaires du Syndicat de la magistrature. La Mission de recherche Droit et Justice est aujourd’hui l’un des lieux privilégiés où s’opère cette rencontre des universitaires et chercheurs de toutes disciplines avec des praticiens du droit et de la justice. L’ensemble des partenaires associés aux résidences Adamas partagent, me semble-t-il, la volonté de promouvoir une recherche en prise avec son temps et avec les enjeux de l’avenir. Nous serons heureux si les lauréats et les lauréates des résidences Adamas en prennent la mesure, et peut-être leur part.
Laetitia L-H : Vous allez participer au lancement du programme « Résidences Adamas ». Que pensez-vous de ce programme européen de résidences pour chercheurs en droit ?
Guillaume Chetard : Le programme des « Résidences Adamas » est une formidable initiative. Les résidences de recherche sont des événements scientifiques très rares et tout aussi précieux ! Il s’agit de convier plusieurs chercheurs à consacrer ensemble du temps à leurs travaux, dans un cadre propice à la rencontre et à l’émulation intellectuelles. Le temps et le lieu sont donc aussi importants que les personnes. Cela fait toute la spécificité de ce mode de production de la connaissance, en comparaison avec la recherche strictement individuelle ou avec la composition d’un colloque ou d’un ouvrage collectif.
Cette façon de travailler est toujours enrichissante. Certaines écoles doctorales organisent des séminaires doctoraux sur un modèle similaire, car les responsables savent, comme les doctorants eux-mêmes, qu’une recherche réalisée dans un cadre adéquat a de grandes chances d’être fructueuse. Certains doctorants de ma connaissance organisent même, avec leurs moyens personnels, des résidences collectives de travail pendant l’été ! J’espère sincèrement que le modèle des « Résidences Adamas » se diffusera et inspirera des initiatives similaires dans les années à venir.
Laetitia L-H : Qu’attendez-vous de cette expérience ?
Guillaume Chetard : À mon sens, le modèle de la résidence (ou du séminaire) présente deux vertus remarquables. D’une part c’est un moment privilégié d’échange et de partage, ce qui permet à chaque participant d’ouvrir ses travaux personnels à de nouvelles idées et de s’engager dans des études collectives. C’est la beauté de la mise en commun des connaissances : chacun découvre ainsi une nouvelle perspective sur son propre domaine, et le groupe compose des travaux communs qui n’auraient jamais pu naître d’une communauté chercheurs isolés. D’autre part il s’agit aussi d’un temps exclusivement consacré à la recherche, les participants étant invités à suspendre (autant que faire se peut !) leurs autres activités, ce que permet le cadre choisi.
Outre ces deux aspects, les « Résidences Adamas » ont l’originalité de s’adresser à de jeunes chercheurs en droit et de leur proposer une résidence commune avec des artistes. C’est un signe fort, très valorisant pour des universitaires en début de carrière comme moi. Alors qu’un prix de thèse distingue un travail déjà accompli, l’invitation à participer à une résidence de recherche est un acte de confiance, par lequel l’organisateur envisage les apports futurs d’un travail à venir. Cela signifie aussi que nous sommes encouragés à proposer des idées nouvelles, à décloisonner nos connaissances de spécialistes. Je me réjouis de pouvoir échanger avec les autres invités et je ne doute pas que nous trouverons, au carrefour de nos intérêts respectifs, de nouvelles pistes à explorer ensemble ! Il est aussi enthousiasmant de pouvoir le faire dans le cadre du Château de Goutelas et de rencontrer à cette occasion des personnalités aussi érudites que Mireille Delmas-Marty, Olivier Leclerc et Antoine Jeammaud.
Laetitia L-H : Vous avez été lauréat du prix Vendôme avec une thèse sur « La proportionnalité de la répression. Étude sur les enjeux du contrôle de proportionnalité en droit pénal français » : comment votre travail de recherche s’inscrira-t-il dans ce programme ?
Guillaume Chetard : Les activités de recherche organisées au Château de Goutelas ont pour thème commun les humanismes juridiques, auxquels est consacrée la bibliothèque du Château.
Ma thèse portait sur la proportionnalité, un concept dont le sens actuel est profondément lié au principe de l’État de droit. Lorsque l’État admet la limitation de son pouvoir par les instruments du droit, il reconnaît l’existence de principes substantiels fondamentaux – la démocratie et les droits humains – qui contraignent son action. Le principe de proportionnalité est un prolongement de cette logique : un État de Droit ne restreint les droits humains que lorsque, et dans la stricte mesure où, une telle restriction est indispensable.
C’est un principe humaniste par essence, mais aussi une grande source d’interrogations, que je souhaite approfondir.
L’une de ces problématiques tient à la justification du droit pénal in concreto. Comment passe-t-on de l’idée, très générale et abstraite, selon laquelle le droit pénal est nécessaire pour maintenir l’ordre social, à la justification d’une mesure répressive individuelle, prise dans sa particularité ? Que répondent les systèmes de droit positif lorsqu’on leur demande ce que changerait un mois d’emprisonnement de plus ou de moins à l’état du monde juridico-politico-moral ? J’ai été récemment invité à écrire sur la question de la proportionnalité des sanctions pénales infligées aux personnalités politiques. Je consacrerai une partie de mon temps au Château de Goutelas à rechercher quelques pistes de réflexion sur ce thème.
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