Une étude menée par la sous-direction de la statistique et des études (SDSE) du ministère de la Justice à la demande et en collaboration avec la direction des affaires civiles et du sceau (DACS) a été menée sur le processus de nomination et d’installation effective (ou de renonciation) de la première carte des notaires. Elle vient compléter les analyses existantes déjà réalisées par la DACS [1]. L’étude s’appuie sur l’exploitation des résultats d’une enquête en ligne. Les 1925 notaires nommés ont été invités par courriel à répondre à un questionnaire auto-administré en ligne : 40% d’entre eux y ont répondu entre le 18 février et le 25 mars 2020. Les principaux résultats de cette étude sont délivrés dans l’infostat Justice de mars 2021 par Zakia Belmokhtar, statisticienne à la SDSE, que nous avons rencontrée.
Propos recueillis par Laetitia Louis-Hommani
Laetitia L-H : Qu’est-ce que la loi « dite Macron » du 6 août 2015 a changé dans la profession de notaire ?
Zakia Belmokhtar : Avant la loi n°2015-990 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances, dite « loi Macron », il n’y avait que deux façons d’accéder à la profession de notaire : être présenté par les prédécesseurs dans un office existant, ou être sélectionné par concours pour un office vacant ou nouvellement créé, selon un processus complexe. La loi Macron a ouvert une 3e voie d’accès : le « tirage au sort », et permis l’organisation de plusieurs concours successifs, appelés « cartes notaires ». Pour concourir, il faut toutefois réunir certaines conditions, en particulier disposer des diplômes et/ou d’une expérience professionnelle suffisante. La 1re carte notaires a ainsi permis la nomination de 1 925 candidats sur 7 500 postulants. Parmi les notaires nommés, près de 1 700 notaires se sont effectivement installés dans un office créé dans l’une des 247 zones vertes, telles que définies dans l’article 52 de la loi. Dans ces zones, dites de « libre installation », la création d’offices permet de répondre aux besoins locaux. Elles se distinguent des zones orange (moins nombreuses), dites « d’installation contrôlée », dans lesquelles toute nouvelle installation doit être examinée, l’offre notariale y étant suffisante.
De fait, le nombre total de notaires a nettement augmenté entre 2016 et 2018, parallèlement à l’augmentation du nombre d’offices et de sociétés, résultat en phase avec les objectifs conjointement fixés par l’Autorité de la concurrence et le Ministère de la justice. Nécessairement, ce mouvement a impacté les conditions et les modes d’exercice de la profession, en particulier du fait d’un plus grand maillage territorial en lien avec la libre installation sur les zones carencées en notaires. Il a aussi vu émerger de nouvelles formes organisationnelles des offices et des sociétés. Et, sur un plan plus humain, il a permis un profond changement du profil des notaires.
Laetitia L-H : Qui sont les notaires de la première carte (profil, motivations, parcours antérieurs) ?
Zakia Belmokhtar : De par leur jeune âge (39 ans en moyenne) et la part prépondérante des femmes, qui représentaient 58 % des notaires nommés de la 1re carte, ces derniers ont sensiblement participé à la tendance déjà observée de rajeunissement et de féminisation de l’ensemble de la population des notaires. Entre 2015 et 2020, l’âge moyen des notaires a baissé de 4 ans, passant de 49,2 ans à 45 ans. Cette baisse, régulière, s’observe chez les femmes (46,2 ans en 2015 et 43,3 ans en 2020), comme chez les hommes (50,7 ans à 47,6 ans). Sur l’ensemble des notaires, la proportion de femmes, de 34 % en 2015, est passée à 52 % en 2020. Le profil sociodémographique de la population des notaires a donc été profondément modifié. L’accès au notariat s’est fait pour 58 % des nouveaux notaires nommés par la voie universitaire, et pour 38 % par la voie professionnelle. Et pour la très grande majorité, leur installation vient à la suite d’une expérience professionnelle dans le domaine, en tant que notaire assistant ou salarié (79 %) sinon, en tant que notaire associé (9 %), moins souvent en tant que clerc (4 %). Ceux dont l’activité antérieure n’était pas directement liée au notariat sont peu nombreux (7 %), mais ils témoignent tout particulièrement de la nouvelle possibilité d’accéder au notariat avec la loi. Le profil professionnel de ces nouveaux notaires éclaire sur leurs deux principales motivations. En premier lieu apparaît l’envie de vivre une aventure entrepreneuriale en construisant eux-mêmes leur propre activité, motivation relevée par 46 % des notaires. Et, pour 42 %, la possibilité de pallier l’absence d’offre d’association ou de reprise d’un office a été moteur dans leur démarche. Le statut antérieur des nouveaux notaires est apparu comme étant le facteur déterminant dans leur projet, l’opportunité d’une installation à titre libéral donnée par la loi leur permettant de sortir du salariat. Ce résultat est plus marqué pour les femmes, en proportion plus nombreuses que les hommes nouvellement nommés à exercer des fonctions d’assistantes ou de salariées (respectivement 84 % et 74 %) et, a contrario, trois fois moins nombreuses que les hommes à exercer en libéral (respectivement 5 % et 16 %).
Laetitia L-H : Quelles sont les principales difficultés rencontrées par les notaires de la première carte lors de leur installation ? a contrario : quelles sont leurs principales réussites ?
Zakia Belmokhtar : Sur 100 notaires nommés, 81 ont poursuivi leur projet jusqu’à leur installation effective, et étaient en activité à la date de l’enquête. Les trois quarts de ceux qui se sont arrêtés en chemin n’ont pas prêté serment, et pour le quart restant, des motifs d’ordre personnel sont le plus souvent invoqués.
Ceux en situation d’activité font part pour la moitié d’entre eux des difficultés rencontrées pour trouver des locaux pour s’installer dans leur nouvel office, notamment du fait de l’absence sur le marché immobilier de biens en adéquation avec leur activité. Ce motif est cité par un notaire sur deux ayant eu ce type de difficulté. Cela éclaire sur la durée d’installation, de 3,8 mois en moyenne après le serment pour ceux n’ayant pas déclaré de difficultés particulières, et de 5,8 mois pour les autres. Par ailleurs, l’activité de certains a pu être entravée par des obstacles à disposer du matériel requis pour travailler. In fine, près de deux notaires sur trois ont été confrontés à l’une et/ou l’autre de ces difficultés au moment de leur installation.
Au-delà de leur installation, le développement de leur activité a amené les notaires à monter en compétences en augmentant pour certains leurs effectifs, à diversifier leurs domaines d’activité et à élargir le périmètre géographique de leur clientèle. Ce développement a été plutôt difficilement vécu, la moitié des notaires notant entre 7 et 10 leur ressenti, sur une échelle allant de 0 (absence de difficultés) à 10 (degré de difficultés ressenti le plus élevé). Ces difficultés se focalisent principalement sur les aspects liés à la gestion de l’office, cités par 75 % des notaires. Près des deux tiers relèvent des difficultés financières (63 %), et la moitié font part des défaillances du marché immobilier, et/ou d’une baisse de la demande de services notariés au niveau local (50 %). Ces difficultés ont été davantage ressenties par les notaires installés à titre individuel que par ceux associés à d’autres notaires.
Laetitia L-H : Quels sont les bilans financiers au terme d’une année et que préjugent-ils sur la continuité de leur activité ?
Zakia Belmokhtar : L’enquête a été réalisée entre février et mars 2020, soit un délai relativement court pour établir un bilan financier complet pour ces nouveaux notaires, certains parmi eux ayant moins d’une année pleine d’exercice. Aussi, ce sujet ne peut être apprécié que partiellement, à l’aune de ceux installés en 2017 et 2018 et qui peuvent tirer un bilan comptable de l’année qui a suivi leur installation. Dans leur majorité, ces notaires indiquent être bénéficiaires (80 %), tandis que 10 % font part d’une situation d’équilibre et 10 % de déficit. Pour 48 % d’entre eux, le chiffre d’affaires réalisé est inférieur à 150 000 € ; il est égal ou supérieur à ce montant pour 52 %, dont 21 % pour lesquels il dépasse 325 000 €.
Plus globalement, le sentiment de satisfaction domine chez l’ensemble des notaires, exprimant soit une tendance à l’amélioration de leur activité entre le démarrage et l’enquête (31 %), soit une certaine constance marquée par la satisfaction (40 %). Pour les autres, la situation s’est dégradée (14 %), ou n’a jamais été satisfaisante (6 %), tandis que 9 % expriment un avis neutre. Par ailleurs, les deux tiers des notaires déclarent être soit déjà bénéficiaires, soit penser le devenir à court terme (un ou deux ans). Ces résultats éclairent sur le fait que ces notaires nouvellement installés dans leur office sont confiants dans leurs perspectives de développement, favorablement ressenties par neuf sur dix d’entre eux.
Laetitia L-H : Globalement, comment ont-ils vécu cette expérience ?
Zakia Belmokhtar : Pour ceux qui sont allés au bout du processus, en s’installant effectivement et en étant encore actifs à la date de l’enquête, cette expérience d’installation en tant que notaire libéral, en individuel ou avec associé(s), et dans un office nouvellement créé, est globalement vécue positivement par 71 % des notaires, et même très positivement par 19 %.
L’ancienneté dans l’installation est évidemment un facteur influant positivement sur cette perception, les plus anciens dressant plus souvent que ceux récemment installés un bilan positif (respectivement 81 % et 65 %). Mais cette appréciation est surtout portée par ceux dont le statut a changé, en particulier les femmes. Parmi ces derniers, 76 % font part d’un bilan positif (78 % des femmes et 72 % des hommes), contre 48 % des notaires qui exerçaient précédemment en libéral. In fine, une très grande majorité de notaires n’expriment aucun regret sur le fait de s’être engagés dans cette nouvelle voie professionnelle (85 %).
Pour aller plus loin:
Consulter l’infostat Justice n°181
Consulter la collection des infostat Justice
[1] http://www.justice.gouv.fr/art_pix/20201208_Rapport_Enquetes_Notaires_2020_VD.PDF