Ministère de la Justice
TEXTES & RÉFORMES
 
 

12 mars 2015

Réforme du droit des contrats : 3 questions à Carole Champalaune

« Ce projet consolide le modèle français d'un droit codifié, accessible et prévisible »

Carole Champalaune, Directrice des affaires civiles et du Sceau, expose les objectifs, les sources et l'équilibre global de la réforme du droit des contrats et des obligations. Interview.

© ministère de la Justice - SG - DICOM - damien arnaud  

 

Carole Champalaune, Directrice des affaires civiles et du Sceau,  expose  les objectifs, les sources et l'équilibre global de la réforme du droit des contrats et des obligations. Interview © MJ DICOM  Caroline Montagné.Pourquoi faut-il réformer le droit des contrats et des obligations ?

Carole Champalaune : En 2004, lors de la célébration du bicentenaire, le doyen Mestre observait que « s’il est dans le code civil un titre qui paraît nourri d’intemporalité, voire d'éternité », c’est bien « le célébrissime » titre III du livre III, intitulé ''les contrats ou des obligations conventionnelles en générale''. Il invoquait le grand respect dû à ce « monument du code civil ». Ce droit, qui a plus de deux siècles, n'a pas empêché que la France passe d'une économie agricole à une économie de services et que son économie se développe dans un contexte de mondialisation.

Pourtant, différents signaux permettaient de considérer qu'il fallait réformer ce droit. D'abord, parce que d'autres pays, proches de nous, avec un système de droit continental, ont réformé leur droit des contrats. Ensuite, parce que des initiatives, notamment celle de la Commission européenne ayant pour objectif d'élaborer un code européen des contrats posait question sur l'adaptation de nos normes à cet égard. Enfin, parce que le classement Doing business, évaluant la réglementation des affaires, la facilité à faire des affaires, faisait apparaître dans sa première édition que la France était particulièrement mal classée, même si on peut beaucoup discuter de la méthode et des fondements de ce classement.

Tous ces éléments ont appelé à un examen critique dont il est ressorti qu'il fallait réformer. Il a bien fallu admettre que le code avait vieilli. Il fallait admettre que même si la célébration du bicentenaire du code civil avait témoigné d'un attachement à la culture juridique française, il ne fallait pas se laisser aller à ne célébrer qu'un élément du passé. J'emprunte ici au discours de rentrée solennelle prononcé, en janvier 2005, par le Premier président Guy Canivet où il rendait compte notamment de ces célébrations du bicentenaire.

Toute la décennie écoulée s'est donc employée à réveiller « ce bel endormi du code civil » selon la formule du Professeur Denis Mazeaud. Beaucoup de travaux sont intervenus  dans la décennie écoulée : en matière de vie économique, la réforme très importante du droit des sûretés en 2006 et, en matière de droit des contrats, au bout de 10 ans de gestation, la voie est maintenant ouverte à la concrétisation de cette réforme nécessaire. Elle est fidèle à notre tradition juridique et permet d'affronter la compétition des systèmes juridiques. Elle est indispensable pour renforcer l’attractivité de notre système de droit et partant notre attractivité au plan général, culturel et économique.

Quelles sont les sources d’inspiration de cette réforme ?

Carole Champalaune : Il y en a trois. C’est d’abord la jurisprudence puisque le projet entend  consacrer et codifier ses apports. Comme l’indique le Professeur Rémy, c’est l’inventivité de la jurisprudence qui a permis au code de durer mais elle s’est transformée en « jurisprudence législative » selon l'expression du Professeur Zenatti. Le projet boucle la boucle, en quelque sorte, en donnant valeur législative à la jurisprudence, notamment lorsque ses interprétations ont comblé des vides ou lorsque cette interprétation a conduit à des solutions qui ont recueilli l'adhésion de la doctrine et des praticiens. Cet emprunt à la jurisprudence répond bien à cet objectif d’accessibilité et de lisibilité, qui est un objectif à valeur constitutionnelle. 

Bien évidemment, la doctrine a été également mobilisée. Cette réforme s'inspire des travaux menés successivement par différents groupes de travail dirigés par le Professeur Catala puis par le Professeur Terré, auxquels se sont agrégés différents travaux. Comme je l’indiquais, la réflexion n’a pas cessé de se poursuivre depuis 10 ans. Le corpus à partir duquel la Chancellerie a construit sa propre réflexion et élaboré l’avant-projet soumis à la consultation est donc d’une grande richesse. Il ne fait pas de doute que la consultation ouverte va encore l'enrichir.

Il faut bien évidemment dire quelques mots des influences européennes ou internationales. Les réflexions menées autour de l’établissement d’un droit européen des contrats mais aussi des principes d’Unidroit ont évidemment conduit à s’interroger sur l’intérêt d’une hybridation du droit français par des règles conçues dans d’autres systèmes de droit. La démarche comparatiste qui est ici à l’œuvre se fait d'ailleurs dans notre système de droit interne et certains éléments de la réforme, comme la théorie de l'imprévision, sont des emprunts faits au droit administratif pour rénover le droit des contrats.

Enfin, troisième source d'inspiration : la pratique. Prenons l'exemple de la définition des contrats cadre, sa consécration dans le code civil est, en elle-même, source de sécurité juridique. Elle résulte de l’inventivité des juristes d’entreprise qui ont répondu aux besoins des entreprises.

Cette réforme va-t-elle remettre en cause les grands principes du droit des contrats et des obligations ?

Carole Champalaune : Je voudrais ici citer Jean Carbonnier qui indiquait que même si le « Code civil a dû abandonner de ses territoires, il garde le prestige d’être le droit commun, détenant le lexique de mots souches et le stock de principes qui sont les sédiments de la mémoire juridique ». Il le dit pour l’ensemble du code civil mais je crois que cela vaut tout particulièrement pour le droit des obligations.

De ce point de vue, le travail de réécriture mené correspond à l’ambition de « réconcilier le droit des contrats avec le code civil », évoquée par le Professeur Mazeaud, pour que le droit commun des contrats le redevienne vraiment. Pour cela, il est notamment nécessaire d'importer des notions qui existent dans d’autres codes.

De façon générale, il faut souligner qu'il s’agit d’une rénovation plutôt que d’une refondation. Si l’on poursuit l’analogie avec la construction d’une maison, disons que les fondations restent, mais on ajoute des pièces, on crée des ouvertures, on rafraîchit les couleurs, on dépoussière.

La question de savoir s’il fallait introduire des principes directeurs, qui ne sont pas dans la tradition juridique française, a été également âprement discutée. Il a été choisi de proposer des dispositions préliminaires qui rappellent des principes qui peuvent constituer des règles d’interprétation, sans avoir toutefois une valeur autonome ni être supérieures aux dispositions codifiées elles-mêmes.

Si l’on examine les éléments clés de la réforme, il est possible de dire que des grands principes sont expressément affirmés, c’est le cas par exemple de la liberté contractuelle. Chacun sait que cette liberté a valeur constitutionnelle, on peut considérer qu’elle était déjà inscrite ''en creux'' dans la formulation de l’article 6 du code civil.

D’autres principes essentiels sont maintenus, c'est le cas par exemple du consensualisme.

D’autres sont revivifiés par une extension de leur portée. Par exemple, s’agissant du principe de la bonne foi, il doit désormais présider non seulement à l’exécution du contrat mais également à sa négociation. Il faut, je crois, s’attarder un peu sur la question de la bonne foi. Comme le notent les Professeurs Bénabent et Mazeaud, elle a connu « un fabuleux destin à partir du premier quart du 20ème  siècle », tant et si bien qu’elle « irradie aujourd’hui toutes les phases de la vie du contrat, de sa négociation à sa rupture ». La proposition de réforme en prend donc acte.

Le rafraîchissement des couleurs, le dépoussiérage, c’est aussi l’abandon de formulations dépassées. Par exemple, la réforme propose de ne plus utiliser l’expression de ''bonnes mœurs''. N'oublions pas que le droit français, c'est aussi une langue. Je renvoie ici à la lecture du rapport de Jacques Attali sur la francophonie qui fait ce lien. La langue du 18ème  siècle, tout aussi admirable qu’elle soit, peut sur certains points ne pas être adaptée à des locuteurs du 21ème  siècle.

L’ajout des pièces, la création d'ouvertures, ce sont aussi de nouvelles définitions du contrat, avec l'insertion du contrat d’adhésion et du contrat cadre, l’introduction de l’imprévision ou la facilitation de la rupture unilatérale en cas d’inexécution.

Enfin, évoquant une rénovation, je prends le risque de voir surgir la critique de démolition. Chacun comprend qu’il est ici question de la disparition, formelle, de la cause. S’agissant de la notion la plus célèbre du droit français des obligations, l’entreprise est délicate mais le choix a été fait de conserver les fonctions découvertes par la jurisprudence pour préserver notamment le contrôle de la licéité du contrat, le contrôle de l’attente des parties et la police du contrat. Ainsi préserve-t-on l’essentiel, mais on le rend plus intelligible et prévisible.

Au total, l’ambition portée par la réforme, outre la consolidation du modèle français d’un droit codifié, accessible et prévisible, qui dans un monde ouvert, changeant et incertain est une valeur en soi, un socle, une garantie, c’est de promouvoir sur le fond la justice contractuelle, sans nuire à l’efficacité économique. La justice n’est évidemment pas possible sans les juges. Il leur reviendra d’intervenir lorsque les cocontractants s’adresseront à lui malgré les outils nouveaux donnés par les textes. Ce sera notamment le cas lorsqu'un cocontractant estimant que sa volonté aura été altérée par la violence économique lui demandera l'annulation du contrat.

Pour finir, j’emprunterai ici encore au discours de rentrée du Premier président Guy Canivet, auquel je me suis déjà référée, pour indiquer que, dans les systèmes de droit codifié, il n’y a pas plus de justice sans loi que de justice sans juge. Il ne faut pas pour autant craindre ce dialogue permanent entre la loi et le juge qui continuera à s'exercer dans le cadre rénové du droit des obligations.

 
 
 
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