La barémisation de la justice
Mise à jour mai 2020
GERRY-VERNIERES Stéphane
Université Grenoble Alpes-Centre de recherches juridiques (CRJ EA 1965)
Recherche débutée en 2016-11 - Achevée en 2019-11
Référence : 16-39
Type de projet : Appel à projets
Programme : La barémisation
Présentation de la recherche
De novembre 2016 à juillet 2019, une équipe de chercheurs rattachés, pour l’essentiel, au Centre de recherches juridiques de l’Université Grenoble Alpes a mené, sous la direction scientifique de Stéphane Gerry-Vernières, une étude sur la barémisation de la justice dans le cadre d’un appel à projet financée par la Mission Droit et Justice. Soucieuse de mieux connaître les pratiques au sein des juridictions du fond, l’équipe de recherche a privilégié une méthode de recherche empirique. Les travaux ont visé à collecter des données relatives aux pratiques juridictionnelles de deux cours d’appel pour le volet civil et de trois cours d’appels et de sept juridictions de première instance pour le volet pénal. A cette fin, l’équipe de recherche a travaillé sur un panel de plus de 6 000 décisions de justice (381 en matière familiale, 566 en matière sociale, 5300 en matière pénale) et a réalisé des entretiens auprès de magistrats et d’avocats des ressorts faisant l’objet de l’étude. Ces données ont été analysées par une équipe pluridisciplinaire comptant des juristes, des économistes et des sociologues. A l’issue de ses travaux, l’équipe a rédigé trois rapports de recherche : le premier porte sur la barémisation et le contentieux du licenciement sans cause réelle et sérieuse (189p) dirigé par Marielle Picq ; le deuxième porte sur la barémisation et le contentieux familial et propose une étude relative à la fixation de la contribution à l’éducation et à l’entretien de l’enfant et à la prestation compensatoire (219p) dirigée par Stéphane Gerry-Vernières ; le troisième porte sur la barémisation et le contentieux pénal et comprend une étude du traitement des violences conjugales, de celui des délits routiers ainsi que de l’application des peines (380p) dirigée par Yannick Joseph-Ratineau. Un quatrième rapport opère une synthèse des rapports précédents (190p).
Au moyen d’une méthodologie commune, les analyses décrivent les différents enjeux qui entourent l’usage de ces barèmes. En effet, à l’heure où la justice doit faire face à un contentieux de masse avec des moyens limités et à un moment de l’histoire où les préoccupations managériales pénètrent les juridictions, la question de l’utilisation de barèmes se trouve au cœur d’une tension entre plusieurs impératifs : la liberté du pouvoir d’appréciation du juge destiné à garantir l’analyse de la situation individuelle du justiciable et le principe d’égalité du citoyen devant la loi portant avec lui la nécessité de limiter l’imprévisibilité des décisions de justice et d’assurer la sécurité juridique. Qu’ils soient impératifs ou indicatifs, nés de la pratique ou impulsés par les pouvoirs publics, les barèmes mettent à l’épreuve le pouvoir d’appréciation des juges en ayant pour ambition de le « normer ». Tout l’intérêt de l’étude est alors de mesurer comment les acteurs s’emparent de l’outil. L’analyse en matière sociale, réalisée sur un panel de décisions non soumises au barème impératif rédaction issu de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, rend compte des pratiques des juridictions et de la place donnée aux différents critères d’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse. Elle démontre que si le barème impératif en matière de licenciement a pour objectif de rendre prévisible le quantum de l’indemnité, elle conduira vraisemblablement au développement de stratégies de contournement par les acteurs. En matière familiale, alors que la Table de référence pour le calcul de la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant est un outil unique et indicatif au plan national se donnant pour ambition de simplifier l’office du juge et de standardiser les décisions pour les situations les plus simples, l’on compte au moins dix méthodes de calcul de la prestation compensatoire, les acteurs choisissant d’en privilégier une ou d’en métisser les usages. En matière pénale où le principe d’individualisation de la peine a une force particulière, les barèmes se déploient de manière duale. Il est ainsi possible de distinguer, d’une part, les « barèmes construits » qui ont pour objet de faciliter l’activité décisionnelle des magistrats du parquet et, d’autre part, les « barèmes constatés » révélés grâce à l’analyse statistique portant sur les pratiques juridictionnelles des magistrats du siège.
Par-delà les spécificités propres à chacune des matières étudiées, en proposant des méthodes de calcul et en objectivant le réel pour parvenir à des outils relativement simples, les barèmes agissent sur la fonction d’une institution. Le constat a pu être fait pour les différents barèmes étudiés : en se concentrant sur l’ancienneté du salarié, le barème impératif en matière de licenciement sans cause réelle et sérieuse gomme la fonction punitive de l’indemnisation, en supprimant du calcul de la pension alimentaire les revenus du parent créancier et en forfaitisant les besoins de l’enfant, la Table de référence pour les pensions alimentaires rapproche cette pension d’une prestation sociale là où elle avait traditionnellement vocation à être un instrument de la solidarité familiale, la pluralité des méthodes de calcul de la prestation compensatoire ne fait que traduire les hésitations sur la fonction de la prestation compensatoire qui oscille entre des fonctions indemnitaires et compensatoires. Dans ce contexte, et alors que l’open data des décisions de justice multipliera les études quantitatives sur les décisions des juges du fond et que les propositions de création d’algorithme traitant la masse de décisions se multiplient, il est indispensable que les référentiels, qu’ils soient construits ou révélés par des pratiques, soient en adéquation avec la fonction des institutions qu’ils prétendent chiffrer ou organiser. Pour le dire autrement, si l’on peut admettre que le principe d’égalité devant la justice conduise à rationaliser le pouvoir d’appréciation des juges, la rationalisation ne saurait conduire à une mécanique sans finalité.
Pour consulter le rapport final : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-02490767
Pour approfondir
Marielle PICQ (dir.), Barémisation et contentieux du licenciement sans cause réelle et sérieuse
Stéphane GERRY-VERNIÈRES (dir.), Barémisation et contentieux familial
Yannick JOSEPH-RATINEAU (dir.), Barémisation et droit pénal
Pour aller plus loin :
Nathalie BARUCHEL, Edwige FAIN, Sabrina MRAOUHI, Marielle PICQ, Anne TALPAIN, Carole TEMAN, Christelle VARIN, "Les pratiques juridictionnelles sans cause réelle et sérieuse: l'application d'un barème?", Revue Droit social, dossier "Licenciement et barème. Prévoir et sécuriser ?" coordonné par Marielle Picq, n°4, 2019, p. 300-309.
Note de synthèse : Télécharger la note de synthèse
Rapport de recherche : Document non disponible