Administrer une question incertaine. Le cas des enfants sans vie. PERISENS (Périnatalité, Statuts, Enregistrement, Statistiques)
Mise à jour décembre 2019
Gaëlle CLAVANDIER, Guillaume ROUSSET, Marion GIRER, Philippe CHARRIER
Centre Max Weber (CNRS UMR 5283)
Recherche débutée en 2016-11-01 - Achevée en 2019-06-19
Référence : 16.30
Type de projet : Projet spontané
Présentation de la recherche
Si une forte mortalité infantile a été l’une constante des siècles passés, les changements qu’a connu l’environnement de la naissance depuis le XIXe siècle, puis au cours de la seconde moitié du XXe siècle, ont totalement reconfiguré le rapport à l’enfant et à l’enfant à naître. La sécurisation des naissances étant acquise, le « décès » en contexte périnatal devient un événement extraordinaire, au sens où il est relativement rare, mais surtout où il n’est plus acceptable, l’enfantement relevant désormais du registre du projet.
Pourtant, la question de la place accordée aux mort-nés n’est historiquement pas inédite et recouvre des réalités différentes en fonction des périodes. Au XIXe siècle, elle est liée à l’émergence de mesures de salubrité publique, au contrôle des avortements et des infanticides et à la collecte de données à visée démographique. Ces mesures avaient pour objectif principal d’opérer une césure entre les naissances (à savoir les enfants enregistrés avant leurs décès éventuels) et les mort-nés, avec pour conséquence l’éviction des droits sociaux et successoraux dans le second cas. Depuis les années 1990, les pratiques hospitalières et les modalités d’enregistrement à l’état civil à destination des mort-nés ont évolué, faisant émerger de nouvelles normes sociales et juridiques. Ces changements ont fréquemment été interprétés comme la possibilité d’inscrire l’enfant sans vie dans l’histoire familiale affective sans qu’il n’y ait de conséquences plus larges. Or, dans le sillage des réformes de 2008-2009 convergeant avec une évolution des mentalités à l’égard des décès périnataux, il apparaît que les transformations en cours ne s’inscrivent plus seulement dans une expérience intime. Elles touchent aussi à l’élaboration des catégories et aux statuts des acteurs.
Cette question s’est donc déplacé des mort-nés aux décès périnataux, mais n’est pas totalement balisée et en cours de normalisation, d’où l’idée d’une question incertaine. Elle a donné lieu à la présente recherche portant sur l’administration contemporaine des enfants sans vie. Mêlant approches juridique et sociologique, ce projet repose sur la confrontation des textes juridiques à leur application, et sur les différents arbitrages et innovations des acteurs dans une démarche empirique à propos notamment des pratiques d’enregistrement. Ce rapport repère, d’une part, la manière dont sont administrés et catégorisés les enfants sans vie, et identifie également les traces écrites les concernant. En sus de ces supports et registres, il étudie les logiques d’action et modes de justifications des acteurs professionnels et des « personnes concernées ». Il traite, d’autre part, des « manières de nommer », le registre langagier permettant d’identifier comment sont catégorisés et dénommés tant les enfants sans vie que les « personnes concernées ».
Il ressort de ce travail d’investigation autour des textes et des discours que cette question sociale, identifiée habituellement comme l’accompagnement d’un processus de deuil en contexte périnatal, se reconfigure en une question de recherche portant sur le statut social et juridique des enfants sans vie. Compte-tenu du caractère éminemment sensible de cette problématique d’un point de vue moral et politique, il s’avère indispensable, en privilégiant une approche empirique, d’aborder cette question par le biais de dimensions connexes, tels l’enregistrement et les différentes dénominations. Par leur entremise, il apparaît patent que des changements notables sont en cours. Trois résultats ont principalement retenu notre attention. Premièrement, l’usage du terme enfant sans vie a un caractère performatif, il fait advenir un « enfant » et des « parents ». Deuxièmement, les logiques d’enregistrement ont pour effet d’inscrire l’enfant sans vie dans une vision instituée de la famille. Troisièmement, les différents processus d’identification sont susceptibles d’aboutir à un processus de personnalisation, sans que cela ne recouvre nécessairement la personnalité juridique.
Néanmoins, ces tendances sont à pondérer en raison de la conditionnalité des choix. En effet, quand bien même on repère un environnement propice aux changements énoncés, il demeure que « l’enregistrabilité » des enfants sans vie n’aboutit pas systématiquement à leur enregistrement effectif.ÉÉ
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