Jean-Pierre ROYER, Jean-Paul JEAN, Bernard DURAND, Nicolas DERASSE, Bruno DUBOIS
PUF, Paris, 2010, ISBN : 9782130569930
L’ouvrage de Jean-Pierre Royer, Histoire de la justice en France, dont la première édition est parue en 1995 (prix Malesherbes 1996), est devenu une référence incontournable. Sa troisième édition, parue en 2001, était épuisée. Une quatrième édition ne pouvait être une simple mise à jour des volumes précédents. L’actualité des questions de justice, la nécessité de remise en perspective historique des grands sujets, l’importante bibliographie parue depuis dix ans invitaient à la fois à renouveler cette recherche unique sur l’histoire politique d’une institution au cœur des préoccupations de la société française, mais dont le centre de gravité s’était de lui-même déplacé depuis le XVIIIe siècle, encore plus aujourd’hui au sein de l’espace judiciaire européen.
Pour traiter des nouvelles problématiques de cette édition entièrement repensée, Jean-Pierre Royer a constitué une équipe où, dans ce projet collectif, chaque coauteur a contribué plus spécifiquement sur ses périodes de prédilection : la Révolution et la répression au XIXe siècle pour Nicolas Derasse, l’histoire sociale de la justice au XIXe siècle pour Bruno Dubois, du XVIIIe siècle à la Troisième République pour Jean-Pierre Royer, le titre entièrement nouveau consacré à l’histoire de la justice coloniale pour Bernard Durand, la période 1940-2010 largement développée pour Jean-Paul Jean.
Certains domaines exposés ne font plus l’objet de grandes controverses, telles la justice sous l’Ancien Régime, ou la justice du Consulat et de l’Empire, les masses de granit napoléoniennes paraissant aussi solides qu’à leur origine. De même, au XIXe siècle, la question des épurations judiciaires qui se produisent à chaque changement de régime (il y en eut près d’une quinzaine) a été étudiée de façon presque définitive. En revanche, d’autres thématiques sans cesse renouvelées par les travaux de recherche sont présentées sous leur nouveau visage. Ainsi, par exemple, le jugement sur le couple royal de Louis XVI et de Marie-Antoinette, les citoyens Capet. La périodisation révolutionnaire est elle aussi remise en cause ainsi que l’interprétation de la Terreur. L’affaire Dreyfus elle-même a été relue autrement à l’occasion de la commémoration du centenaire de l’arrêt de la Cour de cassation du 12 juillet 1906. Pour le XXe siècle, la période des années sombres 1940-1944 fait l’objet d’un fort renouvellement bibliographique, comme la justice d’après-guerre et de la période de décolonisation, avec l’accès à de nouvelles archives.
Enfin, des questions « ouvertes », telle la période de la Convention thermidorienne et du Directoire dont l’histoire judiciaire n’avait été jusqu’alors qu’esquissée, font-elles l’objet de développements particuliers. De la même manière, à côté de l’histoire politique de la justice, à côté de la justice civile mais aussi de la justice pénale, la plus étudiée, une histoire sociale de la justice fait aujourd’hui son entrée dans ce livre. L’histoire de la justice coloniale y trouve aussi désormais sa place, ainsi que l’histoire de la décolonisation et de la guerre d’Algérie, la justice sous la IVème et la Vème République. Enfin, pour la période contemporaine, alors que l’édition précédente s’était achevée en 2000, les années 2000-2010, qui traduisent incontestablement un tournant voire même la fin d’un cycle d’émancipation progressive des juges – les trente glorieuses de la justice (1970-2000) -, resteront à jamais marquées par des affaires qui ont bouleversé la justice, au premier rang desquelles l’affaire dite d’Outreau.
C’est donc un ouvrage nouveau qui est proposé au lecteur, une histoire de la justice étendue sur les trois derniers siècles, de la monarchie absolue à la Ve République, de Louis XV au président Sarkozy. La période choisie, de 1715 à nos jours, intègre toutes les grandes évolutions de la justice, des questions institutionnelles jusqu’aux interrogations essentielles relatives à l’acte de juger, aux statuts et aux métiers du procureur et du juge, ainsi que des professions judiciaires, au premier rang desquelles les avocats. La période marque le passage d’un Etat judiciaire à un Etat administratif, la genèse et le développement d’un service public de la justice. Toutes ces mutations se sont produites sur un fond de crise quasi constante et de deux conflits permanents, celui de la justice contre le pouvoir et celui de l’opinion contre sa justice avec les reproches de lenteur, coût, hermétisme et inégalité, même si le malaise n’est pas spécifiquement français.
Sur la période 1715-2010, trois temps s’enchaînent les uns avec les autres : la justice royale tout d’abord, à la mort de son principal artisan, Louis XIV qui en fixe et fige les structures jusqu’à la Révolution, l’ère des révolutions ensuite, tant la justice a été étroitement mêlée aux nombreux mouvements qui ont agité la société depuis 1789, jusqu’à ce qu’en 1879 s’annonce alors la troisième phase historique, celle de la justice républicaine, de 1879 à nos jours.
L’ouvrage intègre une abondante bibliographie et une rubrique Pour aller plus loin qui permettent de compléter et d’approfondir chaque question. C’est sur cette période longue et ses séquences que l’on pourra retrouver, grâce à l’index thématique, toutes les évolutions de la justice française, comme autant d’éléments historiques singuliers remis dans leur contexte, permettant d’éclairer les débats actuels, comme par exemple celui de la réforme de l’instruction préparatoire. Cela vaut ainsi par exemple pour ses acteurs et quelques figures emblématiques, comme l’avocat, le procureur de la République, le juge d’instruction ou le juge des enfants ; ses institutions, la Cour de cassation, le Conseil d’Etat, le Conseil constitutionnel ou le Conseil supérieur de la magistrature ; ses réformes emblématiques touchant à la prison, à la justice des mineurs, au recrutement et au statut des magistrats, à la carte judiciaire ; ses évènements, tels l’abolition de la peine de mort, les conflits entre justice et politique et les affaires politico-financières, ou les grands procès historiques.
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