107 personnes issues notamment du monde de la recherche et de la sphère économique ont assisté au colloque sur « La gouvernance d’entreprise : mise en œuvre et nouveaux enjeux » co-organisé par la Mission de recherche Droit et Justice et la Plateforme RSE, le 16 novembre dernier. Interview de Kathia Martin-Chenut et de Victoria Vanneau, responsables scientifiques de cette journée et membres de la Mission de recherche Droit et Justice.
LLH : Pourquoi avoir choisi ce thème ?
Victoria Vanneau : La Mission de recherche dispose de riches travaux sur cette question. Nous voulions faire dialoguer chercheurs et acteurs du monde professionnel alors même que le Parlement discute de la loi PACTE (Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises). Depuis 2014 la Mission de recherche Droit et Justice et la Direction des affaires civiles et du Sceau du ministère de la Justice (DACS) se sont intéressées aux codes de gouvernance mis en œuvre par les entreprises. Nous avons financé quatre recherches sur ce thème qui ont été présentées le 16 novembre.
LLH : Que recouvre ce thème des codes de gouvernance ?
Kathia Martin-Chenut : Les entreprises sont de plus en plus incitées à communiquer sur des données non financières (reporting extrafinancier) c’est-à dire-sur les mesures prises pour éviter l’impact potentiellement néfaste de certaines de leurs activités sur l’environnement ou sur la population. Ont été soulevées, lors des débats, des défaillances de contrôle de ces informations non financières et notamment le contrôle de leur véracité. La place de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) et avec elle la question des droits de l’Homme et de l’environnement, nouveaux enjeux de la gouvernance d’entreprise, ont justement alimenté les débats. Et c’est dans ce contexte que la Justice est la plus concernée car ce n’est pas facile pour elle d’intervenir puisque souvent son intervention est perçue comme une entrave à la liberté économique d’entreprendre. Quoiqu’il en soit, les faits parlent d’eux-mêmes. Il suffit pour cela de se souvenir en 2013 de la catastrophe du Rana Plaza au Bangladesh, où des étiquettes de marques françaises ont été retrouvées dans les décombres de l’édifice, ce qui a poussé certaines ONG à déposer plainte devant la justice française pour « pratiques commerciales trompeuses ». Ou encore, dans l’esprit de la loi de 2017 sur le devoir de vigilance des grandes sociétés dans leur chaine d’approvisionnement à l’égard des droits de l’Homme et de l’environnement, l’instruction ouverte quelques jours avant la tenue de notre journée d’études contre Samsung pour pratiques commerciales trompeuses. A la suite de deux plaintes classées sans suite, des ONG se sont portées parties civiles invoquant l’écart entre les engagements éthiques de la société – utilisés comme arguments commerciaux – et des violations présumées des droits humains à l’encontre de travailleurs de ses usines en Chine, au Vietnam et en Corée.
Ces affaires montrent que la gouvernance d’entreprise telle qu’elle s’établit et s’applique n’est pas satisfaisante malgré les annonces de bonnes conformités et de bonnes pratiques affichées par les entreprises. C’est ce qui a fait dire à l’un des intervenants qu’on ne pouvait pas se passer du droit dur (hard law).
LLH : Comment s’est articulée cette journée ? Que s’agissait-il de montrer ?
Victoria Vanneau : Il y a eu deux temps dans cette journée. Un premier sur la présentation générale des recherches avec pour point commun un retour sur le cadre juridique des codes de gouvernance eux-mêmes, à savoir qui est à l’origine de ces codes : ce n’est plus le législateur mais les acteurs eux-mêmes du monde de l’entreprise qui se dotent d’outils propres à réguler leurs bonnes pratiques. Et dans un second temps, il s’agissait d’échanger avec des acteurs du monde professionnel sur les propositions faites par les équipes de recherche quant à l’amélioration de cette gouvernance. Car au fond, et c’était un peu le cœur de cette journée, ces codes de gouvernance ne s’imposant pas aux entreprises, les pouvoirs publics et les juridictions ordinaires restant à la marge, alors comment faire en sorte que les principes et les mécanismes mis en place par ces codes soient respectés par les entreprises ? D’emblée, les présentations ont pointé une certaine ineffectivité de ces codes. Et c’est sur ce constat que les débats se sont ouverts, celui d’une concurrence et d’un équilibre encore à trouver entre la hard et la soft law.
LLH : Que retenez-vous de cette journée ?
Kathia Martin-Chenut : Des échanges riches, passionnants et engagés. Des propositions très concrètes et constructives ont émergé et ont été entendues par les représentants des institutions et des organes de contrôle comme l’Autorité des marchés financiers, invitée à débattre sur la question du contrôle et de la transparence. Les critiques ont été entendues, car il y a eu des critiques ! Et cela nous a conforté dans l’idée que l’organisation de ces restitutions auprès des professionnels est décisive pour la compréhension et l’amélioration des pratiques. D’où l’intérêt d’avoir organisé cette manifestation en partenariat avec la Plateforme RSE.
Qu’est-ce que la plateforme RSE (Plateforme nationale d’actions globales pour la Responsabilité sociétale des entreprises) ?
Instance placée auprès du Premier ministre, la plateforme est installée au sein de France Stratégie depuis juin 2013. Espace de dialogue, d’échange et de construction de propositions, elle vise à promouvoir la responsabilité sociétale des entreprises et les pratiques exemplaires et à favoriser la concertation des différentes parties prenantes en amont et en appui aux négociations de normes internationales. En savoir plus : https://www.strategie.gouv.fr/chantiers/plateforme-rse |
A noter : Les débats de cette journée vont faire l’objet d’une publication qui sera mise en ligne sur le site de la Mission de recherche Droit et Justice.
Retrouvez :
– Les quatre rapports de recherche financés par la Mission de recherche Droit et Justice qui ont fait l’objet d’une restitution lors de cette journée d’étude :
- Emmanuelle Mazuyer (dir.), Quel cadre juridique pour une mise en œuvre effective des codes de gouvernance d’entreprise ? ;
- Jean-Christophe Duhamel et Reda Sefsaf (dir.), Valeur de la gouvernance d’entreprise et gouvernance des valeurs de l’entreprise. Recherche sur les effets des codes de gouvernance et les stratégies de communication en matière de gouvernance ;
- Sophie Harnay, Tatiana Sachs, Katrin Deckert (dir.), L’efficacité des codes de gouvernance. Perspectives comparées et pluridisciplinaires ;
- Frédérique Coulée et Julia Motte-Baumvol (dir.), L’effectivité des codes de gouvernance d’entreprise, de l’intérêt du droit international pour apprécier l’opportunité d’une réforme législative en France
– La page d’annonce du colloque
-Et le post sur le blog d’Ivan Tchotourian, professeur à la Faculté de droit de l’Université Laval, codirecteur du Centre d’études en droit économique (CÉDÉ) et conseiller en loi depuis 2016 au Barreau du Québec.
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© Thierry Marro
Michel Laviale, vice-président plateforme RSE et Kathia Martin-Chenut, directrice scientifique adjointe de la Mission de recherche Droit et Justice.