Ministère de la Justice
TEXTES & RÉFORMES
 
 

12 mars 2015

Zoom sur l'action de groupe en matière de consommation

« Cette procédure facilite l'accès à la Justice aux victimes d'un même dommage »

Le projet de loi sur la justice du 21ème siècle qui sera présenté en Conseil des ministres avant la fin du 1er semestre 2015 prévoit un socle procédural commun d’action de groupe qui s’insérera dans les codes de procédure civile et de justice administrative. De plus, le président de la République et la garde des Sceaux se sont engagés à créer une action de groupe en matière de discriminations.

La procédure d’action de groupe existe déjà en matière de consommation et de concurrence depuis la loi du 17 mars 2014. La magistrate Anne-Gaëlle Dumas propose un éclairage sur cette procédure qui suscite de nombreux espoirs pour les victimes.

 

 

La loi du 17 mars 2014 a introduit en droit français la procédure d'action de groupe. Pourquoi cette procédure a-t-elle été créée ?

Photo de la personne interviewée - Crédits photos : MJ/DICOM Caroline MontagnéAnne-Gaëlle Dumas (A-G.D) : L'action de groupe est une voie de droit permettant à une personne d'agir en justice au bénéfice d'autres, sans que ces personnes soient nécessairement identifiées au départ et sans avoir obtenu un mandat préalable de leur part.

Une telle action facilite ainsi l'accès à la Justice. Elle permet d’obtenir réparation de préjudices pour lesquels les personnes lésées n'auraient pas nécessairement agi seules soit en raison de la faiblesse de leur préjudice individuel, soit en raison de la difficulté à être seul dans un procès face à une grosse entreprise.

La création d’une procédure d’action de groupe est évoquée depuis les années 80 mais il a fallu du temps pour mûrir la question et accepter l'idée de changer le paradigme de l'action individuelle.

 

En quoi cette action de groupe est-elle spécifiquement française ?

(A-G.D) : Cette voie de droit existait depuis le moyen-âge en Angleterre, qui l'a finalement abandonnée puis réintroduite dans son droit à la toute fin des années 90.

Mais bien sûr, lorsqu'on songe à l'action de groupe, c'est vers les Etats-Unis que les regards se tournent. Or, ceux-ci connaissent cette procédure depuis le XIXème siècle. Si la "class action" a des contours qui s’intègrent parfaitement dans le système de common law qui existe dans ce pays, elle était difficilement transposable en l’état dans notre droit civil.

D'autres Etats, européens notamment, comme le Portugal, l'Espagne, l'Allemagne ou très récemment la Belgique, connaissent également une forme d'action collective ou d’action de groupe. Toutes ont des contours différents.

Par rapport à nombre d'Etats, on peut toutefois pointer une légère particularité française. En France, le juge statue sur la responsabilité du professionnel sans que le groupe ne soit constitué avant. Au contraire, dans d'autres Etats, il existe une phase préalable dite de "recevabilité" de l'action ; c’est un "préjugement" sur les chances de succès ou non de l'action et une appréciation de la capacité du demandeur à agir pour le groupe.

Il a semblé préférable au législateur français de se dispenser de cette phase préalable afin d’éviter inutilement l'allongement des procédures et une apparence de partialité du juge.

 

Quel est le schéma procédural de l'action de groupe ? Quelles sont les différentes phases ?

(A-G.D) : La procédure pourrait se décomposer en trois phases essentielles : une association de consommateurs agréée engage son action devant un tribunal de grande instance qui va statuer sur la responsabilité du professionnel au regard des cas individuels que l'association lui soumettra. Il fixera également dans sa décision les modalités d'adhésion au groupe et d'indemnisation des consommateurs lésés.

Une fois cette première décision définitive, une seconde phase s'ouvre. Il s’agit de la mise en œuvre de cette première décision. Des mesures de publicité sont ainsi effectuées pour permettre aux consommateurs concernés de se manifester soit auprès du professionnel, de l'association ou d'un tiers que l'association aura été autorisée à s'adjoindre. Le professionnel indemnise ensuite les membres du groupe. A ce stade, le juge peut être ressaisi pour régler des difficultés d'ordre général qui pourraient se poser comme par exemple un problème dans la mise en œuvre de la publicité ordonnée.

Une fois cette phase terminée, soit tout le monde a été indemnisé et le juge constate la fin de la procédure, soit il reste des membres du groupe que le professionnel aura refusé d'indemniser et le juge peut être saisi à nouveau pour se prononcer sur ces indemnisations. A tout moment de la procédure, la médiation est possible.

 

Vous venez d'évoquer le dispositif commun de l'action de groupe mais il existe également deux formes spécifiques…

(A-G.D) : A proprement parler, il n'existe qu'une forme d'action de groupe, mais il y a des spécificités dans deux cas de figure précis.

Tout d'abord, lorsque le manquement à l'origine des préjudices qui vont être indemnisés dans le cadre de cette action résulte d'une violation aux règles de la concurrence. Dans ce cas, le juge ne peut statuer que lorsque la décision de l'autorité de la concurrence ou de la juridiction saisie du manquement aux règles de la concurrence est devenue définitive. Le juge ne peut pas revenir sur ce qui a été décidé par ces autorités. L'action de groupe doit être engagée dans un délai de 5 ans suivant la décision ayant constaté le manquement. Les manquements passés, c'est-à-dire ceux ayant fait l'objet d'une décision définitive au jour de la publication de la loi, ne peuvent pas faire l'objet d'une action de groupe.

Le second cas de figure est celui où l'identité et le nombre de consommateurs sont connus et où leur préjudice est de même montant ou identique. Dans ce cas, la procédure est dite "simplifiée". Les mesures de publicités seront individualisées et les consommateurs s'adresseront directement au professionnel. Tout est sensé se passer entre le professionnel et les consommateurs. En cas d'échec, si malgré le jugement le professionnel n'indemnise pas, alors on retombe dans le droit commun, le juge peut être ressaisi.

 

Lors d'une action de groupe, quel est le rôle du magistrat chargé du dossier ? 

(A-G.D) : Lors de la première phase, son rôle est assez classique puisqu'il devra statuer sur une action en responsabilité. La particularité est qu'il statuera sur la base des cas des consommateurs non parties à la procédure. L'autre particularité est que, s'il fait droit à la demande, il devra déterminer un schéma d'indemnisation, c'est-à-dire fixer les délais et les modalités d'adhésion, le délai d'indemnisation.

Dans la deuxième phase, c'est le juge de la mise en état qui pourra être saisi d'éventuelles difficultés de mise en œuvre de l’action de groupe. Il devra alors faire en sorte que ce qui bloque se débloque pour que l'action puisse continuer par exemple en matière de publicité.

Enfin, en troisième phase, le rôle du juge est assez classique pour déterminer la réparation du préjudice des membres du groupe non indemnisés.

 

Les professions réglementées peuvent-elles intervenir dans le cadre d'une action de groupe ?

(A-G.D) : Certaines professions réglementées peuvent et même doivent intervenir dans le cadre d’une action de groupe. D’abord, étant donné que la procédure est réalisée devant le tribunal de grande instance, l'association et le professionnel devront être représentés par un avocat. Ensuite, il est prévu que l'association peut demander au juge de s'adjoindre un avocat ou un huissier de justice afin de l'aider dans la gestion de la deuxième phase de la procédure. Cet avocat ou cet huissier de justice pourra, selon les termes de la décision, recevoir les adhésions et demander les indemnisations au professionnel condamné dans le cadre de l’action de groupe.

En conclusion, cette action de groupe permettra un meilleur accès à la Justice et de mieux protéger les consommateurs.

                          

                  Interview réalisée par le ministère de la Justice - SG/DICOM - Damien ARNAUD

 

En savoir plus :

- Le dossier dédié

- la présentation de la loi

 

 

 
 
 
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